5 janvier 1895 Dégradation du capitaine Dreyfus

5 janvier 1895. Dégradation du capitaine Dreyfus [André Larané – herodote.net]

Le 5 janvier 1895, le capitaine Alfred Dreyfus est solennellement dégradé dans la cour de l’École Militaire, à Paris. Il a été condamné au bagne à vie pour haute trahison et espionnage au profit de l’Allemagne. « Dreyfus n’a exprimé aucun regret, fait aucun aveu, malgré les preuves irrécusables de sa trahison. Il doit en conséquence être traité comme un malfaiteur endurci tout à fait indigne de pitié » peut-on lire dans le compte-rendu du Matin.

L’« Affaire » proprement dite commence un an plus tard avec la découverte de faits nouveaux par le lieutenant-colonel Picquart. Il apparaît à ce dernier que le capitaine a été accusé à la place d’un autre. L’erreur judiciaire est manifeste. Mais est-il pensable que la justice militaire reconnaisse une erreur en ces temps de grande tension internationale ? Le droit et la vérité doivent-ils prévaloir sur l’honneur de l’Armée et la sécurité du pays ? L’opinion publique va se déchirer pendant plusieurs années sur ces questions essentielles. En définitive, la démocratie et l’honneur de la France l’emporteront…

Une condamnation sans histoire

L’affaire Dreyfus débute comme une banale affaire d’espionnage par la découverte en septembre 1894 d’un bordereau contenant des secrets militaires et adressé à l’ambassade allemande.

Le capitaine Alfred Dreyfus (35 ans), issu d’une riche famille juive d’Alsace, est accusé d’en être l’auteur sur la foi d’une analyse graphologique. II est arrêté dès le 15 octobre 1894 sous l’inculpation de haute trahison. Condamné au bagne, il part pour l’île du Diable, en Guyane.

Personne en France ne doute de sa culpabilité… sauf sa femme Lucie et son frère Mathieu qui vont remuer ciel et terre pour obtenir sa libération.

Tout se corse en mars 1896. Le lieutenant-colonel Georges Picquart, qui dirige le service de renseignements, découvre que l’auteur du bordereau est en vérité le commandant Charles Walsin-Esterhazy. Ayant fait part de ses doutes au chef de l’état-major, il est réduit au silence par un limogeage en Tunisie.

En octobre 1896, le colonel Henry, des services secrets, désireux d’écarter les soupçons d’Esterhazy, produit un nouveau bordereau qui accable Dreyfus. On apprendra plus tard qu’il s’agit d’un faux document !

Entre temps, la famille du capitaine Dreyfus fait appel au journaliste Bernard-Lazare pour chercher des motifs de réviser le procès. Enfin, le 15 novembre 1897, Mathieu Dreyfus ne s’embarrasse pas de précautions et dénonce Esterhazy comme le véritable auteur du bordereau.

Le patriotisme contre les principes

Le 11 janvier 1898, Esterhazy, qui a lui-même demandé à être jugé, est acquitté par un conseil de guerre et c’est le lieutenant-colonel Georges Picquart qui fait les frais du procès. Accusé de faux, il est emprisonné et chassé de l’armée !

À Paris, chacun prend parti et l’Affaire prend vite un tour politique :

– il y a d’un côté ceux qui considèrent qu’on ne transige pas avec les principes et que Dreyfus, comme tout citoyen a droit à un procès équitable ; ce sont les « dreyfusards ». Parmi eux beaucoup de pacifistes de gauche et des idéalistes de droite comme Charles Péguy.

– de l’autre côté, les « antidreyfusards » considèrent que l’intérêt national prime par-dessus les droits de la personne ; face à l’ « ennemie héréditaire »  (l’Allemagne), il n’est pas question de porter atteinte au moral de l’armée ! L’origine israélite et bourgeoise de Dreyfus attise les passions et l’antisémitisme vient au secours d’un patriotisme dévoyé.

Le dénouement

Le 13 janvier 1898, coup de théâtre avec la publication d’un article incendiaire, intitulé J’accuse…et signé par le célèbre écrivain Émile Zola. Tout y est dit des mensonges et des compromissions des autorités. L’auteur doit s’exiler pour ne pas être emprisonné.

Mais il n’est plus possible au gouvernement d’en rester là. Dreyfus revient du bagne. Il est à nouveau jugé, condamné à dix ans de prison et aussitôt grâcié par le Président de la République. Le dénouement a lieu le 12 juillet 1906 avec sa réhabilitation par la Cour de Cassation.

L’affaire Dreyfus

Jean Jaurès (17 juin 1913)

Porte-parole des pacifistes, Jean Jaurès fait face depuis quelques mois à une déferlante nationaliste, à l’approche du conflit mondial. Raymond Poincaré élu le 17 janvier 1913 Président de la République, est le principal artisan du projet de loi visant à étendre le service militaire de deux à trois ans, en réponse à l’augmentation des effectifs militaires en Allemagne. Jaurès qualifie ce projet de « crime contre la République ».
Ce discours est l’un des derniers grands discours parlementaires prononcés par Jaurès, il y dénonce la répression du Gouvernement à l’égard des manifestants qui refusent l’allongement du service militaire et défend le droit à l’insurrection populaire. 
La loi des trois ans est adoptée le 19 juillet, par 358 députés contre 204.

Que la commission et le gouvernement le veuillent ou non, le projet qu’ils soumettent à la Chambre, en accroissant la durée du service de caserne, rend plus difficiles à tous les points de vue, au point de vue financier, au point de vue militaire, au point de vue social, la grande organisation militaire que réclame le pays républicain, la préparation et l’éducation physique de la jeunesse, l’éducation, l’entraînement, l’encadrement des réserves et, par cela seul que ce projet ferme à l’institution militaire en mouvement les routes de l’avenir, il la refoule nécessairement, vers les formes du passé, vers le type suranné de l’armée de métier.

[…]

Notre projet, Messieurs, est d’accroître la puissance défensive de la France. Plus nous voulons qu’elle porte haut son idéal, son action sociale et humaine, plus nous voulons qu’elle puisse mettre toute sa force au service de cet idéal en pleine sécurité et en pleine indépendance. J’ai déjà, à la commission de l’armée, […] cité le mot de Machiavel : « L’histoire se rit des prophètes désarmés. » Nous qui voulons précisément que la France ait dans le monde une grande mission historique et morale, nous qui, maintenant l’affirmation du droit, voulons répudier à jamais toute politique d’aventure et de revanche, nous qui voulons préparer par la paix définitive et garantir une civilisation supérieure où la force partout présente de la démocratie et de la liberté, réparera les antiques violences, nous voulons que nul ne puisse imputer cette offre magnanime de paix à la débilité peureuse d’un peuple mal assuré de lui-même.

Et non seulement nous voulons porter au maximum la force défensive, la force d’indépendance de ce pays, mais nous voulons l’organiser pour la défense en prévoyant les pires hypothèses, c’est-à-dire en prévoyant le cas où la France aurait à se défendre toute seule, sans secours extérieur et sans alliance, contre ses ennemis éventuels. Ce n’est pas que nous fassions fi des concours que la France, par l’habileté et la sagesse de sa diplomatie, pourrait s’acquérir dans le monde, mais nous pensons qu’un peuple, quand il calcule les chances de l’avenir et l’effort nécessaire d’indépendance et de salut, ne doit compter que sur sa force.

À l’heure où s’est vérifiée, où s’est réalisée, l’hypothèse prévisible et prévue de l’accroissement des armements de l’Allemagne, le devoir des dirigeants français était non pas de se rejeter vers la routine, vers la formule trop facile de la loi de 3 ans, mais de développer énergiquement, par l’éducation de la jeunesse, par l’organisation des réserves, par l’armement du peuple sur place, par le perfectionnement de tous les moyens techniques de mobilisation et de concentration, les garanties d’avenir qui conviennent à un grand peuple de démocratie, et le plus déplorable, Messieurs, dans la solution hâtive d’expédients subalternes qui a été adoptée, c’est qu’elle désapprend au pays de France la vertu qu’elle a le plus besoin d’apprendre : l’esprit de suite et de continuité.

Voilà des années qu’à ce peuple nerveux, aux impressions fortes, aux émotions soudaines, on dit : Si le péril allemand grandit, si le militarisme allemand trouve dans la croissance de sa population et dans l’utilisation plus intensive de ses contingents des ressources nouvelles, ne t’émeus pas, ne te trouble pas. Tu as dans tes ressources de démocratie, dans la possibilité de mettre en oeuvre et en action toutes les forces populaires, des garanties incomparables.

Et voici qu’au jour où, en effet, se réalise l’hypothèse prévue, annoncée, au lieu de dire au peuple : Creuse et ouvre plus vite le sillon que tu avais commencé à ouvrir, on lui dit : Tout est perdu si tu n’abandonnes pas l’effort commencé, et si tu ne te rejettes pas brusquement vers des solutions que, depuis huit ans, tu avais dépassées et jetées aux choses mortes.

Eh bien, Messieurs, un gouvernement manque à la France, lorsque, à ce pays qui a toutes les forces, tous les élans, toutes les énergies, auquel ni la persévérance, ni la méthode ne font défaut, ses gouvernants, selon les caprices de l’heure, changent brusquement de direction. C’est là qu’est la diminution morale et la diminution militaire de ce pays.

[…]

Nous avons, Messieurs, nous, la conviction profonde que nous travaillons à la fois pour la force de l’armée nationale, pour la puissance défensive de la Patrie et pour la paix du monde à laquelle la République doit donner son concours.

Georges Clemenceau (8 mars 1918)

Georges Clemenceau, ministre de la Guerre et Président du Conseil, s’est présenté devant les députés le 20 novembre 1917 avec « l’unique pensée d’une guerre intégrale ». Sa détermination le conduit à s’impliquer directement dans la conduite des opérations militaires. Ce discours est prononcé cinq jours après le traité de Brest-Litovsk qui acte la défection de la Russie bolchévique ; sous l’impulsion de Clemenceau, le commandement unique des forces alliées revient au général Foch. Il dresse le portrait d’une France apaisée et tournée vers la victoire, alors que la guerre épuise la population et les soldats au front et que le jour même, des obus allemands ont touché le ministère de la Guerre. A l’issue de ce discours, il obtient la confiance par 374 voix contre 41.

M. Georges Clemenceau, président du Conseil, ministre de la Guerre : J’aurai voulu m’associer pleinement aux paroles de monsieur Renaudel et je l’aurais fait s’il n’avait cru devoir me mettre personnellement en cause pour m’accuser de crimes politiques déterminés : c’est ce sur quoi je tiens à m’expliquer.

D’abord, je n’ai pas à répondre de faits qui ne sont pas de mon administration : et je m’étonne que monsieur Renaudel, qui est déjà un vieux parlementaire, puisse sérieusement me demander de monter à la tribune pour justifier des actes dont je n’ai pas eu connaissance et dont je ne suis pas responsable.

Je n’ai pas à l’admettre. Je suis à la tribune pour discuter un point seulement, à savoir qu’on m’accuse de laisser faire des campagnes et qu’on m’en rend responsable. J’en suis bien fâché, vous êtes de grands libertaires, mais, pendant trois ans, vous avez vraiment pris un peu trop facilement l’habitude d’être protégés par la censure, tandis que vos adversaires ne l’étaient pas.

(Applaudissements sur divers bancs. Interruptions sur les bancs du Parti socialiste.)

J’ai connu un temps où ce même monsieur Léon Daudet, dont vous parlez aujourd’hui, me mettait en vedette d’ignominie et de honte, chaque jour, en tête de chaque numéro de son journal.

Non seulement la censure laissait faire, mais c’est moi qui étais blanchi par cette même censure. J’ai connu un temps où il ne m’était pas permis de rappeler sans être immédiatement écharpé, qu’avant la guerre et quelques jours même avant la guerre, vous votiez contre les crédits militaires. (« Très bien ! Très bien ! » à gauche et au centre.)

Je suis bien obligé de rappeler cela puisque vous me forcez à m’expliquer. Je ne suis monté à la tribune, ni pour engager des querelles, ni pour polémiquer ; mais enfin, puisque je suis perpétuellement attaqué à propos de faits que je n’ai pas connus et que je n’ai pas commis, il me sera bien permis de m’expliquer sur la doctrine du gouvernement. C’est pour exposer cette doctrine que j’ai demandé la parole, afin qu’il soit bien entendu, dans le vote que vous émettrez tout à l’heure – et qui sera un vote sur la confiance -, que les républicains continuent d’avoir confiance dans les libertés.

On fait des campagnes contre tel ou tel d’entre vous et vous vous en étonnez. Messieurs, voilà cinquante ans qu’on en fait contre moi. (Mouvements divers.)

Quand m’a-t-on entendu m’en plaindre en quelque manière que ce soit ? Il m’est arrivé de répondre, il m’est arrivé de dédaigner et de ne pas lire. Soyez sûrs que c’est encore le meilleur remède.

Aujourd’hui, vous me demandez sérieusement d’arrêter des campagnes contre telle ou telle personnalité.

Sur divers bancs du parti socialiste : Mais non !

[…]

M. le président du conseil : Je suis monté à la tribune pour vous poser une question de gouvernement Elle sera posée, malgré vous, contre vous ou avec vous, suivant ce que vous déciderez, mais elle sera posée et elle sera suivie d’un vote de chambre. (« Très bien ! Très bien ! »)

Je dis que les républicains ne doivent pas avoir peur de la liberté de la presse. (Applaudissements. Interruptions sur les bancs du Parti socialiste.)

N’avoir pas peur de la liberté de la presse, c’est savoir qu’elle comporte des excès. C’est pour cela qu’il y a des lois contre la diffamation dans tous les pays de liberté, des lois qui protègent les citoyens contre les excès de cette liberté.

Je ne vous empêche pas d’en user. Il y a mieux : il y a des lois de liberté (Interruptions sur les bancs du Parti socialiste) dont vous pouvez user comme vos adversaires ; rien ne s’y oppose ; les voies de la liberté vous sont ouvertes ; vous pouvez écrire, d’autres ont la liberté de cette tribune ; ils peuvent y monter comme vient de le faire l’honorable monsieur Painlevé. De quoi vous plaignez-vous ? Il faut savoir supporter les campagnes ; il faut savoir défendre la République autrement que par des gesticulations, par des vociférations et par des cris inarticulés. (Applaudissements au centre et à droite. Exclamations et bruits sur les bancs du Parti socialiste.)

Parlez, discutez, prouvez aux adversaires qu’ils ont tort et ainsi maintenez et gardez avec vous la majorité du pays qui vous est acquise depuis le 4 septembre.

Voilà la première doctrine que j’ai à établir,

[…]

La seconde, dans les circonstances actuelles, c’est que nous sommes en guerre, c’est qu’il faut faire la guerre, ne penser qu’à la guerre, c’est qu’il faut avoir notre pensée tournée vers la guerre et tout sacrifier aux règles qui nous mettraient d’accord dans l’avenir si nous pouvons réussir à assurer le triomphe de la France.

Je comprends très bien, comme on l’a dit que, malgré cette situation, on vienne ici traiter des affaires de trahison, parce que c’est une partie de la guerre. Un jour, monsieur Renaudel disait que le cri : « Nous sommes trahis ! » était un cri de lâcheté. Peut-être !

La révolution remporterait la victoire au cri de : « Nous sommes trahis ! ». Dans ce temps-là, il y avait sur la place de la Concorde … (Bruits et interruptions sur les bancs du Parti socialiste.)

[…]

… Dans ce temps-là, il y avait sur la place de la Concorde un instrument de concorde. (« Très bien ! Très bien ! ».)

Aujourd’hui, notre devoir est de faire la guerre en maintenant les droits du citoyen, en sauvegardant non pas la liberté, mais toutes les libertés. Eh bien ! Faisons la guerre.

Interrogez-nous sur les procès de trahison. Dites que nous avons mal agi, dites que les administrations qui m’ont précédé ont mal administré la justice. C’est votre affaire. Vous trouverez toujours quelqu’un pour vous répondre.

Je suis aujourd’hui en face d’événements qui se préparent et que vous connaissez tous, auxquels je dois faire front, sur lesquels il faut absolument que ma pensée soit courbée, je pourrais dire chaque heure du jour et de la nuit. Aidez-moi vous-mêmes, mes adversaires ! (Interruptions sur les bancs du Parti socialiste.)

Sur les bancs du parti socialiste : Nous n’avons pas le même but ! Vive l’homme enchaîné !

M. le président du Conseil : Alors, vous l’avez dit: « Nous n’avons pas le même but. » Je n’aurais pas voulu le croire.

Il m’est arrivé un grand malheur à la naissance de mon ministère. J’ai été frappé d’exclusive par monsieur Renaudel et ses amis, avant qu’ils sachent ce que je pourrais dire ou faire. Ils ont décidé, en vertu d’une noble science dogmatique, que j’étais un danger pour la classe ouvrière et pour la défense nationale.

[…]

Pour ce qui est de la défense nationale, j’estime que pour prononcer qu’un gouvernement est un danger pour la défense nationale, il serait nécessaire d’apporter des faits au lieu d’une opinion dogmatique qui n’est pas justifiée par les événements.

M. Antoine Drivet : Vous l’avez dit de vos prédécesseurs !

M. le président du Conseil : Qu’ai-je dit ?

M. Antoine Drivet : La même chose de vos prédécesseurs.

M. le président : Veuillez, je vous prie, ne pas troubler inutilement la discussion par des interruptions. Vous répondrez.

M. le président du Conseil : Je ne suis pas un danger pour la défense nationale parce que je ne puis avoir aucune ambition en ce monde ; rien d’autre ne m’est permis que le désir ardent d’aider, dans la mesure de mes forces, mon pays à sortir de la situation où il se trouve. (Applaudissements.)

[…]

Croyez-vous que ce soit pour le plaisir de subir vos malédictions, vos injures et vos outrages, écrits ou parlés, que je suis à cette tribune en ce moment ?

Si vous le croyez, je vous plains, je ne suis pas cet homme.

Et je vais vous dire toute ma pensée ; après vous me combattrez comme vous voudrez. À mesure que la guerre avance, vous voyez se développer la crise morale qui est la terminaison de toutes les guerres. L’épreuve matérielle des forces armées, les brutalités, les violences, les rapines, les meurtres, les massacres en tas, c’est la crise morale à laquelle aboutit l’une ou l’autre partie. Celui qui peut moralement tenir le plus longtemps est le vainqueur. Et le grand peuple d’Orient qui a subi historiquement, pendant des siècles, l’épreuve de la guerre, a formulé cette pensée en un mot :

« Le vainqueur c’est celui qui peut, un quart d’heurt de plus que l’adversaire, croire qu’il n’est pas vaincu. »

Voilà ma maxime de gouvernement. Je n’en ai pas d’autre. (« Très bien ! Très bien ! ».)

Au fond de toutes les lois de la nature humaine, il y a une formule très simple à laquelle il faut toujours finir par se rallier. Je suis entré au gouvernement avec cette idée qu’il faut maintenir le moral du pays.

Un membre sur les bancs du parti socialiste : Vous avez réussi !

M. le président du Conseil : Le moral est excellent. Vous n’êtes pas détenteurs d’une recette de morale qui vous soit particulière – c’est le grand malheur des églises -, car vous n’êtes qu’une église…

(« Très bien ! Très bien ! »)

M. Charles Bernard : Une petite église!

M. le président du Conseil : Messieurs toute ma politique tend à ce but : maintenir le moral du peuple français à travers une crise qui est la pire de toute son histoire.

[…]

Parmi nos actes, quels qu’ils soient, je vous défie d’en trouver un qui ne soit inspiré de cette unique pensée : sauvegarder l’intégrité de l’héroïque moral du peuple français. Cela nous le voulons, cela nous le faisons, cela nous continuerons à le faire.

Ce moral a été admirable, quoi que vous en disiez.

M. Joseph Brenier : Nous en sommes convaincus.

M. le président du Conseil : II n’en est pas moins vrai qu’il y a eu des heures où l’on n’aurait pas pu monter à cette tribune pour tenir le langage que je tiens. Je n’incrimine personne, ce n’était pas la faute des hommes, mais d’une situation générale sur laquelle je n’ai rien à dire. Mais, aujourd’hui, c’est une chose énorme pour le pays de pouvoir penser et lever la tête, regarder les amis et les ennemis les yeux dans les yeux, et de se dire :
«Je suis le fils d’une vieille histoire qui sera continuée, mon peuple a écrit, mon peuple a pensé, ce qu’il a fait. Nos neveux l’écriront, nos neveux le penseront. Nos neveux le feront. »

(Applaudissements.)

Voilà pourquoi je suis au gouverne­ment et pas pour autre chose. Le moral de nos soldats fait l’admiration de leurs officiers, comme de tous ceux qui vont les voir. Pas d’excitation, une sérénité d’âme au-dessus de l’étonnement, des propos tranquilles et gais, un bon sourire de confiance, et quand on parle de l’ennemi, un geste auquel s’ajoute quelquefois une parole qui fait comprendre que tous ces efforts viendront s’épuiser devant le front français. (Applaudissements.)

Et les parents de ces hommes, les pères, les mères, nous les connaissons : stoïques eux aussi. Pas de plaintes, pas de récriminations. Que la paix publique ait pu être maintenue comme elle l’a été pendant quatre ans, c’est à l’éloge, je le dis, des gouvernements précédents. (« Très bien ! Très bien ! ») Et aussi du peuple français lui-même. (Applaudissements.)

Cela, il faut le continuer, mais il y a peut-être des milieux où cela est devenu plus difficile qu’autrefois.

Il y a l’excuse de la fatigue, des mauvaises paroles, il y a l’excuse des propos semés par des agents de l’ennemi ; il y a l’excuse de la propagande allemande. Mais malgré tout cela, le moral des Français est immuable. Les civils ne sont pas au-dessous des poilus. (Applaudissements.)

Eh bien, messieurs ! Voilà quatre mois que nous sommes au pouvoir. Je ne veux pas m’attribuer le mérite de ce résultat ; je n’en ai pas un instant la pensée, mais nous avons peut-être concouru à le maintenir, à l’aider, en tout cas. Moi et mes collègues, j’en suis bien sûr, nous nous y sommes tout uniquement consacrés. Je ne viens pas vous demander l’ordre du jour de confiance ; je ne le ferai que parce que vous m’y obligez. Aujourd’hui, je serais resté à mon banc si vous ne m’aviez pas provoqué ; je ne serais pas monté à cette tribune ; j’y monte.

Mais, au moins, ne vous prononcez pas contre moi parce qu’il y a je ne sais quelle histoire de dossier égaré dans tel ou tel tiroir, dans tel ou tel bureau. Ayez le courage de votre opinion, dites pourquoi vous votez contre moi. Vous votez contre moi parce que vous voulez la guerre sans doute, mais pas par les procédés qui sont les miens. J’aurai le courage d’aborder ce point avant de finir. On dit : « Nous ne voulons pas la guerre, mais il faut la paix le plus tôt possible. »

Ah ! Moi aussi, j’ai le désir de la paix le plus tôt possible et tout le monde la désire. Il serait un grand criminel celui qui aurait une autre pensée, mais il faut savoir ce qu’on veut. Ce n’est pas en bêlant la paix qu’on fait taire le militarisme prussien. (Vifs applaudissements à gauche, au centre et à droite.)

Tout à l’heure, monsieur Constant me lançait une petite pointe sur mon silence en matière de politique étrangère. Ma politique étrangère et ma politique intérieure, c’est tout un. Politique intérieure, je fais la guerre ; politique étrangère, je fais la guerre. Je fais toujours la guerre. (Applaudissements sur les mêmes bancs. Mouvements divers.)

 

Léon Gambetta (21 juin 1880)

Léon Gambetta s’exprime en faveur de l’amnistie totale des communards. Il répond au député bonapartiste Paul de Cassagnac hostile à l’amnistie et dénonçant l’élection à Belleville, le 19 juin 1880, du « galérien Trinquet ». Bien qu’ayant soutenu, hostile à la Commune, le candidat battu, lors de cette élection partielle, par Alexis Trinquet, lequel était pourtant inéligible pour avoir appartenu au Conseil général de la Commune de Paris, Gambetta prononce un plaidoyer pour la réconciliation et apparaît comme le chef de file de la coalition républicaine.[ASSEMBLÉE NATIONALE]

Messieurs, j’ai cédé à l’impérieux sentiment du devoir en demandant à la Chambre de vouloir bien m’entendre dans la question qui s’agite aujourd’hui devant elle ; non pas, comme l’a dit le préopinant [*], parce que la grande mesure dont le gouvernement prend aujourd’hui l’initiative, que les ministres sont venus défendre et que la majorité va ratifier, soit l’oeuvre d’une personnalité quelconque. Non, messieurs, et dans cette question, il n’y a rien à cacher ; le gouvernement pour répondre au sentiment du pays, doit être tenu au courant de ses affaires : il a tout naturellement pensé que, avant de mettre la dernière main à cette grande loi d’abolition et d’absolution, il était peut-être nécessaire de connaître l’opinion, non pas d’un homme, mais de tous les hommes de la majorité de la Chambre. (« Très bien ! Très bien ! » à gauche et au centre.)

C’est à ce titre, et non à un autre que j’ai été consulté. Et je donnerais à ce débat une tournure blessante pour ma dignité personnelle si je répondais à des attaques, à des insinuations, qui, pour s’être produites à cette tribune, n’en sont pas plus fondées. Non, je ne suis pas au-dessus du gouvernement ; pas plus que je ne suis à côté de l’honorable monsieur Granier de Cassagnac. (« Très bien ! Très bien ! » à gauche.)

Je suis à mon rang et à ma place, je suis au poste où votre confiance m’a élevé. (Applaudissements à gauche et au centre.)

Eh bien ! Messieurs, je le sais, je l’ai vu, je l’entends tous les jours ; ne pensez pas, ne pensez jamais qu’il y ait un autre moyen de supprimer ces récriminations éhontées sur la guerre civile autrement que par une mesure d’abolition complète, absolue ; ne le pensez pas !

Pourquoi ? Parce que vous ne referez pas l’histoire ; parce que vous ne pourrez pas aller de quartier en quartier dans tout ce Paris qui a cette vie tragique et épouvantable qui va du 4 septembre au 26 mai ; parce que vous ne pourrez pas refaire la vérité dans ces cerveaux obscurcis et dans ces âmes troublées ; et entendez-le bien ! Tant que restera une question d’amnistie, vraie ou fausse, posée sur une tête indigne ou sur une tête obscure, vous pouvez être convaincus que, toujours et nécessairement, vous verrez une grande masse s’égarer qu’il eût fallu recueillir, vous verrez des esprits s’enflammer et s’exaspérer qu’il eût été fort simple de maintenir dans la ligne droite.

Et alors vous voulez que je me taise, que je ne dise pas à mes amis, qui sont au pouvoir, sans empiéter sur leur indépendance qui est entière, car si elle n’était pas entière, c’est ma conscience qui ne le serait pas !… (Bravos. Applaudissements prolongés à gauche et au centre), vous voulez que je ne leur dise pas : « Oui, il y a un intérêt supérieur qui s’impose ; oui, il y a une raison d’État qui ouvre et dessille les yeux les plus obstinément fermés ! » C’est que, dans un pays de démocratie, dans un pays de suffrage universel, de disputes ardentes dans les comices électoraux, il y a un moment où, coûte que coûte, il faut jeter le voile sur les crimes, les défaillances, les lâchetés et les excès commis. (Vifs applaudissements.)

Rappelez-vous, messieurs, que si vous ajournez l’amnistie jusqu’à la veille des élections de 1881, on exploitera le pardon accordé aux gens de la Commune comme un complot, comme une sédition ; on épouvantera la France, en lui présentant les dangers du retour d’hommes chargés de crimes, couverts de sang, altérés de vengeance ; tandis que, si vous faites l’amnistie aujourd’hui, il en sera comme des prédictions sinistres qu’on faisait sur le retour des Chambres à Paris.

Dans quinze mois, quand nous reviendrons devant nos électeurs, devant le suffrage universel, nous pourrons le prendre à témoin que, depuis le jour où vous avez voté l’amnistie, l’oubli, le pardon, le silence se sont faits sur la guerre civile. Voilà pourquoi je trouve l’amnistie opportune ; voilà pourquoi je l’ai conseillée, (Très bien ! Très bien ! )
…car c’est l’honneur du gouvernement républicain à côté duquel je suis, d’avoir pu, en matant les factions, fonder la République, ramener les Chambres dans Paris, décréter successivement la rentrée sur le sol national des hommes compromis dans nos discordes ; c’est l’honneur, la force de ce gouvernement, et il a bien le droit, au nom de la République, au nom de la France, de vous dire : « J’ai la garantie et le dépôt de l’ordre et des libertés nationales dans les mains, ayez confiance en moi, marchez avec moi. »

Oui, ce gouvernement a le droit de tenir un tel langage, et, permettez-moi de vous le dire, vous avez le devoir de réfléchir, vous avez le devoir, que vous avez accompli en bien d’autres moments, de descendre au fond de vos consciences, de vous mettre en présence des conséquences, des avantages de la politique de concorde qui est aujourd’hui devant vous et de vous poser ce dilemme : oui ou non, devons-nous consentir à faire l’amnistie ? Votre réponse est oui ! n’est-ce pas ? Personne ne se lève dans cette assemblée qui ose dire : « Non !

Jamais nous ne ferons l’amnistie ; il faut persister dans une politique implacable, qui ne connaît que des fautes inexpiables. »

II faut donc faire l’amnistie et par conséquent, la seule question politique qui se pose et qui s’impose à l’attention du Parlement est celle-ci : existe-t-il un moment, plus favorable pour la faire ? (Applaudissements prolongés à gauche et au centre) Je dis qu’il n’en existe pas ! Pourquoi ?

Parce que si le pays – et je pense avoir étudié avec soin la marche des esprits – est résolu à ne pas se payer d’apparences, à ne jamais céder aux impatiences, aux ardeurs, même légitimes, des uns, il est résolu aussi à ne pas laisser passer les heures propices aux grandes mesures. J’ai écouté le pays, je l’ai suivi, je l’ai lu dans ses diverses manifestations écrites ; je l’ai étudié dans ses diverses manifestations électorales.

Et où est donc l’opinion publique, si elle n’est pas dans ces rendez-vous, si elle n’est pas dans ces consultations, solennelles à tous les degrés, où les électeurs donnent l’opinion de la France ?

Après avoir écouté, interrogé le pays, je suis arrivé à cette solution : non, la France n’est pas passionnée pour l’amnistie, elle n’y apporte ni ardeur ni enthousiasme, elle sait ce que lui a coûté cette série de crimes ; elle sait quelle a été la rançon de cette folie inoubliable ! Non, elle n’est pas passionnée pour l’amnistie, et, si elle n’avait qu’à prononcer un arrêt, il serait bien vite écrit en caractères ineffaçables.

Mais, messieurs, si la France ne subit pas d’entraînement vers l’amnistie, elle éprouve un sentiment que les hommes politiques doivent enregistrer : c’est celui de la lassitude. (« Très bien ! » Applaudissements à gauche.) Elle est fatiguée, exaspérée d’entendre constamment se reproduire ces débats sur l’amnistie, dans toutes les questions, à propos de toutes les élections, de toutes les contentions électorales, et elle dit à ses gouvernants et à vous-mêmes : « Quand me débarrasserez-vous de ce haillon de guerre civile ? » (Bravos à gauche.)

[…]

Je le sais, messieurs, il y a deux politiques, il y en a eu deux de tout temps, et il y en aura toujours deux, parce que le mouvement de l’esprit humain est ainsi fait qu’il porte les uns à l’innovation, à la marche en avant, à l’affirmation toujours plus hardie et toujours plus audacieuse vers le progrès, vers la conquête et vers la réforme ; et qu’il retient les autres qui, par tempérament, par qualité d’esprit, – car c’est souvent une qualité, il y a plus de lest dans les esprits qui résistent – sont au contraire pour le stationnement, pour le calcul longtemps balancé avant la résolution. J’aime ces deux esprits et je les respecte.

Mais que voulez-vous ? Vous allez peut-être m’accuser d’opportunisme ! Je sais que le mot est odieux… (Sourires.) Pourtant, je pousse encore l’audace jusqu’à affirmer que ce barbarisme cache une vraie politique… (Applaudissements), que c’est en s’inspirant de la générosité des uns et de l’esprit d’examen des autres qu’il faut se décider. Et alors, étant face à face avec les difficultés, je dis à ceux-ci : « Vous touchez à la réalisation d’une mesure qui, peut-être, aurait été facilitée si elle eût été entourée, dans les réclamations qui se sont produites, de plus de mesure, de plus de sagesse. Et aux autres, je dis : « Le moment est venu de se résoudre ; ne voyez-vous pas entre nous et ceux qui ne sont que des anarchistes de profession, qui ne sont que de purs démagogues, que des fauteurs de désordre ; ne voyez-vous pas entre eux et nous une année compacte de braves gens, d’électeurs honnêtes et sincères qui, troublés et égarés, considèrent l’amnistie comme le retour aux plus détestables doctrines ? Ne sentez-vous pas qu’il est nécessaire d’aller à eux, de les rassurer et de leur dire : ” La République, c’est un gouvernement de démocratie, c’est le gouvernement qui est le plus fort de tous les gouvernements connus contre la démagogie. Pourquoi ? Parce qu’il ne gouverne et ne réprime ni au nom d’une famille ni au nom d’une maison, mais au nom de la loi et de la France ” » (Bravos et applaudissements répétés à gauche et au centre.)

[…]

On a dit, et on a dit avec raison – cela saute aux yeux -, que le 14 juillet étant une fête nationale, un rendez-vous où, pour la première fois, l’armée, organe légitime de la nation, se trouvera face à face avec le pouvoir, où elle reprendra ces drapeaux, hélas, si odieusement abandonnés… (Bravos et applaudissements prolongés.) Oh ! Oui, il faut que ce jour-là, devant la patrie… (Nouveaux applaudissements), il faut qu’en face du pouvoir, en face de la nation représentée par ses mandataires fidèles, en face de cette armée, « suprême espoir et suprême pensée » comme disait un grand poète, qui, lui aussi, dans une autre enceinte, devançant tout le monde, avait plaidé la cause des vaincus… (Applaudissements), il faut que vous fermiez le livre de ces dix années ; que vous mettiez la pierre tumulaire de l’oubli sur les crimes et sur les vestiges de la Commune, et que vous disiez à tous, à ceux-ci dont on déplore l’absence, et à ceux-là dont on regrette quelquefois les contradictions et les désaccords, qu’il n’y a qu’une France et qu’une République. (Acclamations et applaudissements prolongés. Un grand nombre de membres se lèvent de leur place et s’empressent autour de l’orateur pour le féliciter lorsqu’il descend de la tribune.)

Jules Ferry : L’école laïque (6 juin 1889)

Jules Ferry a quitté le pouvoir en mars 1885 à cause de sa politique coloniale et a échoué aux élections présidentielles de décembre 1887. 
Ce discours du 6 juin 1889 résonne alors comme une sorte de testament politique dans lequel il fait un bilan passionné de sa politique scolaire, profondément républicaine et inspirée de l’œuvre de la Révolution française. Il rappelle alors que les notions de progrès, de patriotisme et de laïcité ont guidé ses actions en faveur d’une refonte totale du système scolaire. [ASSEMBLÉE NATIONALE]

M. Jules Ferry : Je ne crois faire, en aucune façon, preuve d’héroïsme en venant défendre ici l’oeuvre scolaire de la République contre une polémique qui pourrait être dangereuse si elle n’était pas réfutée. Cette oeuvre, messieurs, elle est aujourd’hui, elle sera assurément aux yeux de l’histoire, avec le rétablissement de nos forces militaires et de notre outillage de guerre, le titre principal de la IIIe République à la reconnaissance de l’histoire et du pays. (« Très bien ! Très bien ! » au centre.)

Un membre à droite : N’oubliez pas le Tonkin !

[…]

M. Jules Ferry : Quand je prenais la parole devant une autre Chambre, devant l’Assemblée nationale, en 1871, en 1873, en 1875, certains membres du côté droit ne manquaient, aussitôt que j’ouvrais la bouche, de crier: « Et le 4 septembre ! » Aujourd’hui, il paraît que le refrain est différent : « Et le Tonkin ! » Messieurs, pas plus ici qu’à l’Assemblée nationale, je n’ai répondu et ne répondrai à ce genre d’argumentation et d’interruptions personnelles. À l’Assemblée nationale, j’ai suivi mon chemin ; j’ai usé de mon droit ; ici, je ferai de même, et j’en userai jusqu’au bout. (« Très bien ! Très bien ! » à gauche et au centre.)

Je n’ai, croyez-le bien, aucune intention agressive. Je voudrais apporter des faits, des chiffres, des déclarations très précises. Je ne cherche à enflammer aucune passion, à raviver aucune des vieilles querelles, que je voudrais voir éteintes.

Messieurs, cette oeuvre scolaire de la IIIe République n’est pas une oeuvre personnelle ; elle n’appartient en propre à qui que ce soit dans le Parti républicain, car elle appartient au pays républicain tout entier. (« Très bien ! Très bien ! » à gauche et au centre.)

[…]

Oui, messieurs, la IIIe République a réalisé ce système d’éducation nationale entrevu et conçu par nos pères. Il est un peu de mode, au temps où nous sommes, à cent ans de distance de ces grands hommes et de ces grandes choses, de reprocher à la Révolution française et aux hommes de 1789 l’avortement de beaucoup d’espérances. Oui, la Révolution n’a pas réussi dans tout ce qu’elle avait entrepris. L’histoire peut enregistrer à son passif des échecs éclatants, mais ici, nous avons le droit de le dire, le succès est complet. Ce système d’éducation nationale sans monopole… (Protestations à droite) sans monopole, car c’est l’Empire, le premier Empire qui a établi le monopole. (Exclamations à droite.)

[…]

Ce système d’éducation nationale qui relie, dans un cadre, à la fois puissant et souple, l’école élémentaire aux plus hautes parties du savoir humain ; ce système d’éducation nationale au frontispice duquel on n’a pas craint d’écrire que, de la part de la société, « l’enseignement est un devoir de justice envers les citoyens, » que la société doit à tous le nécessaire du savoir pratique, et l’avènement aux degrés successifs de la culture intellectuelle de tous ceux qui sont aptes à les franchir… (« Très bien ! » à gauche), cette mise en valeur du capital intellectuel de la nation, de toutes les capacités latentes de tous les génies qui peuvent être méconnus ou étouffés, dans une grande et féconde démocratie, messieurs, c’était le rêve de nos pères ; et nous avons le droit de déclarer qu’autant qu’il est possible de dire qu’une chose est accomplie, grâce à vous, grâce au pays, votre principal collaborateur dans cette grande oeuvre, grâce au pays qui en a été l’âme, ce rêve est devenu une réalité ! (Applaudissements au centre et sur divers bancs à gauche.)

Voilà pourquoi nous ne pouvons remettre qu’à un pouvoir civil, laïque, la surintendance de l’école populaire, et pourquoi nous tenons, comme à un article de notre foi démocratique, au principe de la neutralité confessionnelle, (« Très bien ! Très bien ! » à gauche. Interruptions à droite.)

Voilà pourquoi nous tenons fermement à l’école laïque. Voilà pourquoi vous n’obtiendrez de nous sur ce point ni acte de contrition ni retour en arrière. (« Très bien ! Très bien ! » à gauche. Exclamations à droite.)

Aussi bien est-ce l’enjeu de toutes les batailles prochaines, l’enjeu de la lutte des partis et si, comme vous l’espérez, bien à tort, vous reveniez ici en majorité aux élections prochaines, je sais bien »… (Bruit à droite.)

… Je sais bien la chose que vous ne pourriez pas faire, pas plus que n’ont pu le faire vos devanciers de 1871, c’est la monarchie : car, là encore, vous seriez trois partis ! (Nouvelles interruptions à droite. « Très bien ! Très bien ! » à gauche et au centre.)

M. le Baron de Mackau : il s’agit des économies et non de la monarchie !

M. Jules Ferry : Messieurs, je sais bien que vous ne feriez pas la monarchie, mais vous déferiez les lois scolaires. (« C’est cela ! Très bien ! » à gauche.)

[…]

Messieurs, nous restons profondément attachés à l’école laïque ; et pourtant, comme j’ai eu l’occasion de le déclarer en diverses circonstances, comme je n’hésite pas à le faire dans cette Assemblée, nous sommes très désireux de voir régner dans ce pays la paix religieuse. (Vives exclamations à droite. Applaudissements au centre.)

M. le Comte de Mun : Monsieur le président, je me suis contenu pendant trois heures, je n’ai pas interrompu, mais j’ai bien le droit de dire à l’orateur qu’il est le dernier qui puisse parler de la paix religieuse ici. (« Très bien ! Très bien » à droite.)

M. Jules Ferry : Messieurs, c’est précisément parce que j’ai été mêlé plus que d’autres aux luttes et aux discordes législatives auxquelles on a donné si improprement le nom de guerre religieuse que je tiens à venir ici protester de mon profond attachement à la paix religieuse de mon pays. (Vives interruptions à droite. Bruit.)

[…]

Quant aux écoles laïques, quant à la séparation de l’Église et de l’école, je nie absolument qu’elle ait revêtu, soit dans la loi, soit dans la pratique, le caractère de persécution religieuse que vous lui attribuez. (Interruptions à droite et à l’extrême gauche.)

M. Ernest Ferroul : Vous serez cardinal avant Jules Simon.

M. Jules Ferry : Vous avez trop d’esprit, messieurs les boulangistes. Voila sept ans que la loi de 1882 est votée, qu’elle est pratiquée.

Voix à droite : Détestée !

M. Jules Ferry : Voilà sept ans que le prêtre donne, en toute liberté, deux jours de la semaine, le dimanche et le jeudi, l’éducation religieuse aux enfants qui fréquentent l’école. (Interruptions à droite.) Voilà sept ans que tous les instituteurs de France, tenus de se conformer au programme rédigé et voté par le Conseil supérieur de l’instruction publique, enseignent aux enfants des écoles une morale dans laquelle il y a un chapitre spécial qui porte ce titre : « Des devoirs envers Dieu. » (« Très bien ! Très bien ! » à droite.)

M. Paul de Cassagnac : Très bien !

M. Jules Ferry : On dit, à droite, que c’est très bien… (Bruit à droite.)

M. le Président : Comment messieurs, vous ne pouvez entendre des déclarations comme celles-là, sans protester ?

M. Jules Ferry : On dit à droite que c’est très bien. Mais alors, que l’on cesse de dire que nos écoles primaires sont des écoles sans Dieu !

[…]

Et quand une grande société religieuse comme la société catholique jouit, dans un pays comme la France, de libertés aussi étendues que les vôtres quand votre Église, quand votre propagande religieuse est illimitée, quand elle possède plus de 40 000 chaires et plus de 40 000 pasteurs, vaquant librement à l’accomplissement de leur ministère ; quand elle est dotée d’un budget qui dépasse tous les budgets de la Restauration et la monarchie de Juillet, quand des hommes bien intentionnés comme celui qui est à la tribune. (Exclamations ironiques à droite et à l’extrême gauche) vous offrent de régler, sans porter atteinte aux droits de l’État, la question des associations religieuses ; si les catholiques, qui jouissent de telles libertés – je devrais dire de tels privilèges – prétendent qu’ils sont persécutés, qu’ils sont les victimes d’une guerre religieuse, ils donnent un démenti à l’éclatante vérité des faits ; ils ne sont pas persécutés, ils sont bien près de devenir persécuteurs. (Vifs applaudissements au centre et sur divers bancs à gauche.)

Troisième République ( 1870-1940)

  1. Troisième République.
    Exercices.
  2. Les européens et le monde, L’expansion coloniale
    Exercices
Organigramme réalisé sous Microsoft Visio représentant le fonctionnement théorique des institutions de la IIIe République française.

Organigramme représentant le fonctionnement théorique des institutions de la IIIe République française. (MANDRAK, 2008)