L’ENLÈVEMENT DES CRUCIFIX DANS LES ÉCOLES

 

L’ENLÈVEMENT DES CRUCIFIX DANS LES ÉCOLES DE LA VILLE DE PARIS.
TITRE : L’enlèvement des crucifix dans les écoles de la ville de Paris
AUTEUR : GERLIER Léon ( – )
DATE DE CRÉATION : 1881
DATE REPRÉSENTÉE : 20/02/1881
DIMENSIONS : Hauteur 18,3 cm – Largeur 24,6 cm
LIEU DE CONSERVATION : musée Carnavalet (Paris) site we

Alexandre SUMPF, « L’enlèvement des crucifix dans les écoles », Histoire par l’image [en ligne], consulté le 11 février 2020. URL : http://www.histoire-image.org/etudes/enlevement-crucifix-ecoles

 

Une illustration de la « laïcisation » des écoles parisiennes

Souvent présentée à tort comme une illustration de l’un des effets de la loi du 28 mars 1882 sur la laïcité de l’enseignement public, L’Enlèvement des crucifix dans les écoles de la ville de Paris date en réalité de février 1881. L’image se réfère aux conséquences d’une décision prise le 9 décembre 1880 par le préfet de la Seine, Ferdinand Hérold, qui, en se fondant (de manière juridiquement ambigüe) sur un nouveau règlement du conseil départemental de l’Instruction publique de juillet 1880, ordonne de procéder à l’enlèvement des crucifix, vierges, tableaux et autres signes religieux des écoles de la capitale.

C’est donc l’une de ces scènes « d’enlèvement » que représente la gravure de presse publiée le 20 février 1881 dans le numéro 673 de La Presse illustrée. À l’instar d’autres journaux illustrés, dont le nombre et la diffusion explosent dans la seconde partie du XIXe siècle, notamment à Paris, le titre (et donc l’image ici étudiée) touche un large public, façonnant les consciences et les représentations au sujet de cet événement précis, mais aussi du contexte plus général dans lequel il s’inscrit.

Pour « les républicains » des années 1870-1880, en effet, la consolidation du régime politique organisé par les lois constitutionnelles de 1875 nécessite, entre autres, une réforme de l’instruction publique. Il s’agit de démocratiser mais aussi de « laïciser » l’école pour former le plus grand nombre de citoyens et diminuer l’influence de l’Église.

Sous l’impulsion du ministre de l’Instruction publique, Jules Ferry, plusieurs mesures concernant les écoles publiques sont votées :

  • la loi du 9 août 1879, qui prévoit la création des écoles normales primaires pour assurer la formation d’instituteurs laïcs destinés à remplacer le personnel congréganiste ;
  • la loi du 27 février 1880, qui entraîne l’exclusion des représentants de l’Église du Conseil supérieur de l’Instruction publique ;
  • la loi de mars 1880, qui organise l’expulsion de certaines congrégations religieuses, comme les jésuites ;
  • la loi du 16 juin 1881, qui instaure la gratuité de l’école publique ainsi que la nécessité d’être titulaire du brevet de capacité pour pouvoir enseigner dans les écoles élémentaires ;
  • enfin, la fameuse loi du 28 mars 1882, qui édicte l’obligation, pour les enfants des deux sexes, de fréquenter l’école de 6 à 13 ans et organise un enseignement laïc par différentes mesures, comme le remplacement de l’enseignement de la morale religieuse au profit d’une « instruction morale et civique », ou encore la suppression des signes religieux des salles de classe des écoles publiques.

ANALYSE DES IMAGES

Une représentation tragique et picturale

L’Enlèvement des crucifix dans les écoles de la ville de Paris est à l’origine un dessin de Léon Gerlier, repris en gravure de presse par V. Stablo.

De manière assez évidente, l’illustration s’inspire de certains mouvements picturaux « classiques » pour présenter une sorte de « scène d’enlèvement ». En effet, elle n’est pas sans rappeler certaines représentations doloristes de scènes religieuses « typiques » (martyrs chrétiens, Ascension, Crucifixion, etc.).

L’auteur a privilégié une approche tragique et symbolique, appuyée sur une composition binaire. Dans cette salle de classe d’une école de jeunes filles, l’opération de l’enlèvement du crucifix occupe la partie droite de l’image. Elle est effectuée par trois gendarmes en uniforme de la maréchaussée, qui ont apporté les outils nécessaires à cette tâche (échelle, marteau…). Ils sont manifestement placés sous l’autorité d’un représentant du pouvoir local, habillé en notable (costume, haut-de-forme, canne), qui ordonne du doigt de décrocher le signe religieux. On note également que deux des trois représentants des forces de l’ordre semblent confisquer d’autres éléments religieux (une bible ?).

À gauche de l’image, de l’autre côté de la porte ouverte par laquelle les gendarmes ont fait irruption, les jeunes élèves sont rassemblées en une sorte de masse. Elles semblent communier dans la souffrance ou, du moins, la stupéfaction, jusqu’à se fondre en un seul tout. Certaines petites filles, vêtues modestement, sont en pleurs, d’autres demandent ce qui se passe. Toutes sont effrayées, au moins choquées. Certaines cherchent du réconfort auprès de deux sœurs, qui ne sont pas moins effarées par ce qu’elles voient (l’une prie, l’autre est incrédule et accablée).

Quelques adultes (une femme élégante et un homme, notamment) se joignent à ce chœur. Parents, personnel de l’école ou simples témoins, ils semblent protester (l’homme lève les bras) ou, du moins, condamner ce qui se passe. Ils se rangent en tout cas symboliquement du côté des enfants.

INTERPRÉTATION

Une vision symbolique et critique

L’Enlèvement des crucifix dans les écoles de la ville de Paris pose plusieurs questions d’interprétation et appelle plusieurs précisions.

D’une part, l’école de filles dont il est question étant théoriquement une école publique (c’est à leur sujet que s’applique la décision du préfet), on peut s’étonner de la présence de religieuses. Il est possible que l’auteur du dessin ait déformé la réalité, mais il faut noter que la « laïcisation » du personnel scolaire des établissements publics, et notamment ceux de jeunes filles, a demandé un certain temps ; les religieux y étaient traditionnellement assez nombreux depuis longtemps et sont pour certains restés, faute d’agents formés par l’État. La présence de religieuses, qui ne sont pas forcément enseignantes, est donc crédible.

D’autre part, L’Enlèvement des crucifix dans les écoles de la ville de Paris figure volontairement une scène de violence. L’irruption de « l’ordre laïc » par la porte s’assimile à une agression, presque un viol, de l’espace à tous sens « sacré » de la classe, troublant de manière évidente (des hommes, des outils pointus et phalliques) une assemblée féminine que l’on imaginait paisible et douce. Cette violence, qui oppose le masculin et sa force à la vulnérabilité du féminin et de l’enfantin, semblerait aussi un peu sociale : le notable est bien mis, quand les jeunes filles semblent assez modestes (habits). L’illustration renvoie enfin au fait que la religion est, à cette époque en France, une pratique plus féminine que masculine.

La représentation suggère en tout cas la brutalité de la décision du préfet Hérold et de sa mise en application, préfet dont le notable impérieux et inflexible ici visible serait d’ailleurs comme le représentant. Ici, la laïcité n’apparaît pas seulement intransigeante : elle serait rigide, extrémiste, intolérante, blasphématoire, presque inhumaine.

Il est impossible cependant d’affirmer avec certitude que L’Enlèvement des crucifix dans les écoles de la ville de Paris propose une critique globale de la politique anticléricale portée par les républicains. Peut-être se concentre-t-elle sur le seul épisode parisien : il est en effet établi que cette opération de 1880-1881 fut menée sans prévention et sans ménagement, parfois, comme ici, devant les enfants, sans attendre que les classes soient vides, suscitant une vive émotion et indignant une partie de la population, au-delà des seuls cercles antirépublicains ou proreligieux. Elle provoqua même la colère de Jules Ferry, qui reprocha par lettres au préfet son impatience et sa radicalité contre-productive, le ministre décidant d’ailleurs d’y mettre momentanément fin avant de procéder, plus tard, avec plus de discrétion.

Deixa un comentari

L'adreça electrònica no es publicarà Els camps necessaris estan marcats amb *