1946-1958 Le bilan fécond de la IVe République

1946-1958. Le bilan fécond de la IVe République [André Larané – herodote.net]

Fondée en 1946, à la suite de la Libération de la France, la IVe République demeure célèbre pour son instabilité gouvernementale (18 gouvernements de 1946 à 1958), ses ministères se succédant encore plus vite que sous la IIIe République (1870-1940).

Elle a néanmoins permis à la France de se redresser très vite et de se moderniser comme jamais auparavant (ni après)… Le même phénomène s’est observé dans l’Italie de l’après-guerre, avec un régime politique très semblable.

André Larané

La démocratie efficace

Paradoxalement, l’instabilité gouvernementale de la IVe République et le manque de charisme de ses dirigeants ont peut-être servi la modernisation du pays. C’est ce que suggère l’essayiste Jean-François Revel en 1992 dans une critique virulente de la Ve République gaullienne (L’Absolutisme inefficace).

La IVe République est un régime parlementaire dans lequel les députés imposent le chef de gouvernement (Président du Conseil) au président de la République.

Or, les députés sont élus à la proportionnelle sur des listes départementales, ce qui contrarie l’émergence d’une majorité parlementaire stable. Qui plus est, le régime doit composer avec de solides minorités parlementaires qui lui sont hostiles par principe : à gauche le Parti Communiste, à droite les gaullistes du RPF (Rassemblement du Peuple Français).

En conséquence, chaque fois qu’ils ont à résoudre un problème, les députés modérés de la « troisième force » (socialistes, démocrates-chrétiens et centristes divers) constituent une coalition de circonstance et un gouvernement ad hoc. Ils les dissolvent une fois le problème résolu, parfois au bout de quelques mois seulement. D’un gouvernement à l’autre, ce sont généralement les mêmes personnalités qui se succèdent, à des postes identiques ou différents. Cette formule très flexible a fait ses preuves si l’on s’en tient aux résultats.

Un bilan honorable

Le 21 octobre 1945, quelques mois après la Libération, est élue une Assemblée constituante, dominée par le PCF (communistes), la SFIO (socialistes) et le MRP (chrétiens-démocrates). Elle soumet au pays un projet de Constitution à forte connotation marxiste. À la surprise générale, il est rejeté à une très forte majorité, le 5 mai 1946. Une deuxième assemblée est élue le 2 juin et son projet constitutionnel approuvé par référendum le 13 octobre 1946.

Deux semaines plus tard, le 27 octobre 1946, les institutions de la nouvelle République prennent la place du Gouvernement provisoire né à Alger le 2 juin 1944.

Charles de Gaulle, qui aurait souhaité un régime à dominante présidentielle plutôt que parlementaire, n’a pas attendu cette échéance. Il a quitté le gouvernement le 20 janvier 1946. Le 16 janvier 1947, un an après son départ, un collège électoral élit le premier président de la IVe République, Vincent Auriol (63 ans).

Dans un premier temps, le régime respecte le tripartisme. Les communistes, qui représentent plus d’un quart de l’électorat, participent aux gouvernements jusqu’au 4 mai 1947, date à laquelle ils en sont exclus, à l’initiative du socialiste Ramadier, pour cause de guerre froide.

La Confédération Générale du Travail (CGT), centrale syndicale noyautée par le Parti communiste français, réagit au plan Marshall par une grève insurrectionnelle, en novembre 1947. Le ministre de l’Intérieur Jules Moch rappelle 800 000 réservistes pour y faire face ! On frôle la guerre civile. En 1948, la CGT doit admettre son échec. Dès lors, les communistes vont se joindre aux gaullistes pour déstabiliser le régime de toutes les façons possibles.

Malgré cela, la France accomplit de rapides progrès dans les domaines social et industriel. Le « plan Monnet » de 1947 permet à l’industrie de dépasser de 25% les meilleurs niveaux de production d’avant-guerre dès 1953, avec des taux de croissance annuels de 5 à 7% (record européen). Le pays multiplie les prouesses : modernisation de l’agriculture, pont de Tancarville, paquebot France, avions Caravelle et Mystère IV, barrage de Donzère-Mondragon, création d’un Commissariat à l’énergie atomique à Saclay, réacteur de Marcoule, exploitation du gaz de Lacq, premier calculateur de Bull…

Jean Monnet (encore lui !) convainc le ministre Robert Schuman de lancer (avec l’Allemagne !) le 9 mai 1950, la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA).

Antoine Pinay, Paris Match, n° 162, 19 avril 1952.

Le 8 mars 1952, comme l’inflation menace la croissance économique, le président Vincent Auriol appelle à la tête du gouvernement un inconnu, Antoine Pinay, maire de Saint-Chamond (Loire). En quelques mois, il rétablit la confiance des financiers et des consommateurs. Il fait notamment chuter les prix avec la complicité des grands magasins et lance un emprunt indexé sur l’or et défiscalisé, la rente 3,5%. Les souscriptions atteignent 428 milliards de francs !

Jean Monnet se console de l’échec de la Communauté européenne de défense avec le traité de Rome : le 25 mars 1957, six pays d’Europe occidentale dont la France signent ce traité qui fonde la CEE (Communauté économique européenne) à l’origine de l’actuelle Union européenne.

Succès et échecs de la politique coloniale

Le 19 décembre 1946, le Tonkin s’est soulevé à l’appel du parti communiste vietnamien de Hô Chi Minh, inaugurant les guerres de libération coloniales. Le 29 mars 1947, une insurrection éclate aussi à Madagascar. Mais, brouillonne, elle est réprimée avec brutalité sur le champ. Après la chute du nazisme, un rideau de fer a coupé l’Europe en deux. La France choisit résolument le camp occidental pro-américain en adhérant le 27 juillet 1949 à l’OTAN. Elle se réconcilie aussi avec l’Allemagne (de l’ouest) en l’accueillant le 9 mai 1950, dans la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA), une initiative de Jean Monnet et Robert Schuman.

La guerre d’Indochine se termine le 7 mai 1954 avec la chute du camp retranché de Diên Bên Phu. La conférence de Genève sur l’Indochine et la Corée, ouverte le 26 avril 1954, se clôture trois mois plus tard par le retrait définitif de la France d’Indochine. Les négociations sont menées à leur terme par Pierre Mendès France, président du Conseil et ministre des affaires étrangères (radical-socialiste).

Encouragés par les événements d’Indochine, les indépendantistes algériens du FLN déclenchent le 1er novembre 1954 leur guerre d’indépendance. C’est la « Toussaint rouge ». Le 20 août 1955, ils fomentent des émeutes sanglantes à Philippeville. Dans le même temps, Paris accorde une pleine indépendance au Maroc le 2 mars 1956 et à la Tunisie le 20 mars 1956.

Lorsque le président égyptien Nasser, solidaire des indépendantistes algériens, nationalise le canal de Suez le 26 juillet 1956, Français et Britanniques organisent le 5 novembre 1956 une opération aéroportée sur Port-Saïd sous le prétexte de protéger le canal. Ils devront se retirer presque aussitôt sous la pression conjuguée des Soviétiques et des Américains.

Mais voilà qu’en Algérie, le FLN en vient à commettre des attentats contre les civils, au cœur d’Alger. Le gouvernement de Guy Mollet donne alors les pleins pouvoirs au général Massu et à ses parachutistes pour y mettre fin. Très vite, journaux et intellectuels dénoncent le recours à la torture.

Après avoir liquidé les dossiers indochinois, marocain et tunisien, la IVe République s’apprête à en terminer avec la guerre d’Algérie mais une coalition de circonstance réunissant les partisans du général de Gaulle et des « pieds-noirs » extrémistes ne lui en laisse pas le temps. Elle provoque son renversement à la faveur d’un vrai-faux coup d’Etat le 13 mai 1958. C’est ainsi que le 28 septembre 1958, les Français votent par référendum pour une nouvelle Constitution…

La IVe République (1946-1958)

1851-1870 Le Second Empire et la France épanouie

1851-1870. Le Second Empire et la France épanouie [Alban Dignat, herodote.net]

Louis-Napoléon Bonaparte, neveu de Napoléon 1er, a conduit les destinées de la France pendant près de deux décennies, du coup d’État de 1851 à la défaite de 1870, durant une période qualifiée de Second Empire (le premier Empire étant celui fondé par son oncle).

Lui-même, en restaurant l’empire, a pris pour nom de règne Napoléon III (le nom de Napoléon II étant réservé au fils de Napoléon 1er, qui n’a jamais régné). D’emblée, il a instauré un régime dictatorial et limité très strictement la liberté d’expression. Mais au fil des années, le régime a évolué vers des formes plus libérales, proches d’un régime parlementaire.

Pendant ces deux décennies, la France va se transformer plus vite qu’à aucune autre époque de son Histoire. Elle va s’ouvrir à la révolution industrielle, se doter d’infrastructures et d’un urbanisme encore en usage, mais aussi jeter les fondements d’un deuxième empire colonial.

De l’empire autoritaire à l’empire libéral

Napoléon III prend sans attendre des mesures pour limiter la liberté d’expression de la presse et mettre l’Université au pas.

Au demeurant, la grande masse des citoyens et du peuple se rallient d’assez bon gré, y compris les orléanistes, partisans de la monarchie, et certains leaders républicains sincères, tels Émile Ollivier ou encore l’historien Victor Duruy.

L’empereur y met du sien. Habilement, il consacre sa liste civile à ses relations publiques. C’est la « fête impériale », aux rythmes de la musique d’Offenbach. Avec l’impératrice Eugénie, il anime une vie de cour brillante, aux Tuileries (Paris), à Fontainebleau et à Compiègne, sans oublier les stations thermales et balnéaires créées sous son égide comme Deauville, Monte-Carlo, Biarritz et Vichy.

Cette cour est ouverte à toute la bourgeoisie sans esprit de classe et se montre accueillante pour les gens de lettres. Chacun a droit à une invitation dans le cadre des « séries » qui se succèdent chaque année à Compiègne.

Après le Congrès de Paris et la naissance du Prince Impérial en 1856, le régime est à son apogée. Napoléon III se résout à lâcher du lest. D’autoritaire, l’empire va devenir dès lors progressivement libéral. Les élections de 1869 donnent 45% de voix à l’opposition. Napoléon III en prend acte et appelle au gouvernement Émile Ollivier, le chef du « tiers parti », qui rassemble les orléanistes et les républicains modérés.

Cet empire parlementaire reçoit la caution populaire par le plébiscite du 8 mai 1870 : 7,350 millions de oui , un million et demi de non. La guerre et la défaite de Sedan vont tout emporter et même gommer les acquis incontestables de ces deux décennies…

Révolution économique et sociale

Au Paradis des Dames, affiche publicitaire, 1856, BnF, Paris.

La société française s’est transformée sous l’impulsion de Napoléon III plus vite qu’en aucune autre période de son Histoire. C’est à cette époque qu’elle a accompli sa révolution industrielle.

L’empereur prend lui-même en main la politique économique et sociale du gouvernement.

Convaincu des bienfaits du libre-échange, il signe en 1860 un traité de libre-échange avec le Royaume-Uni. Il institue aussi une union monétaire, l’Union latine, qui a englobé jusqu’à la Première Guerre mondiale de nombreux pays. Enfin, il accorde le droit de grève aux ouvriers.

Révolution culturelle

Avec son ministre Victor Duruy, l’empereur relance l’instruction publique.

Paris change aussi de visage. Napoléon III engage à marches forcées la rénovation de la capitale avec le baron Haussmann, préfet de la Seine.

Outre-mer, au Sénégal, au Cambodge, en Cochinchine, en Nouvelle-Calédonie, les troupes marines de Napoléon III jettent les bases d’un nouvel empire colonial que la IIIe République aura à coeur d’étendre.

Le gouvernement impérial voit dans les conquêtes coloniales une occasion de manifester la grandeur de la France.

Déboires diplomatiques

Mais Napoléon III, imbu de principes humanitaires et désireux de faire prévaloir en Europe le «principe des nationalités» (une nation, un pays), mène par ailleurs une diplomatie brouillonne.

C’est ainsi qu’il s’engage aux côtés du Royaume-Uni dans une guerre, victorieuse mais éprouvante contre la Russie, en Crimée. Il intervient aux côtés des chrétiens d’Orient puis entraîne la France dans de graves déconvenues, au Mexique comme en Italie.

Enfin, gravement affaibli par la maladie et poussé de l’avant par l’opinion publique, elle-même manipulée par l’habile chancelier allemand Bismarck, il engage une guerre désastreuse contre les armées de la Prusse et des autres États allemands.

Cette guerre va lui coûter son trône et occulter le bilan de son règne.

Histoire du Second Empire

Cinquième République: MAI 68

[Wiquipedia] La Cinquième République, ou Ve République, est le régime politique républicain en vigueur en France depuis le . Elle a succédé à la Quatrième République, qui avait été instaurée en 1946. Elle marque une rupture par rapport à la tradition parlementaire de la République française dans la volonté de renforcer le rôle du pouvoir exécutif. Elle est régie par la Constitution du 4 octobre 1958, approuvée à une très large majorité par voie référendaire le  précédent. Elle a été mise en place par Charles de Gaulle, qui en est élu premier président.

Ce régime est qualifié de semi-présidentiel en vertu des pouvoirs accordés au président de la République. Le rôle central de ce dernier est consolidé par la légitimité découlant de son élection au suffrage universel direct, instaurée par référendum en 1962, ainsi que par l’alignement de la durée de son mandat sur celui de l’Assemblée nationale depuis 2002.

En place depuis 61 ans et 25 jours, la Cinquième République est le régime républicain français le plus stable après la Troisième République (1870-1940).

 

Les événements de mai-juin 1968, ou plus brièvement Mai 68, désignent une période durant laquelle se déroulent, en France, des manifestations d’étudiants, ainsi que des grèves générales et sauvages.

Ces événements, enclenchés par une révolte de la jeunesse étudiante à Paris, puis gagnant le monde ouvrier et la plupart des catégories de population sur l’ensemble du territoire, constituent le plus important mouvement social de l’histoire de France du xxe siècle.

Il est caractérisé par une vaste révolte spontanée antiautoritaire (« ici et maintenant »), de nature à la fois socialepolitique et culturelle, dirigée contre le capitalisme, le consumérisme, l’impérialisme américain et, plus immédiatement, contre le pouvoir gaulliste en place.

Les événements de mai-juin provoquent la mort d’au moins sept personnes1 et des centaines de blessés graves dans les affrontements, aussi bien du côté des manifestants que des forces de l’ordre.

Avec le recul des années, les événements de mai-juin 1968 apparaissent comme une rupture fondamentale dans l’histoire de la société française, matérialisant une remise en cause des institutions traditionnelles.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Mai_68#Les_accords_de_Grenelle

https://education.francetv.fr/matiere/epoque-contemporaine/seconde/video/mai-68

 

https://www.lepoint.fr/societe/mai-68-explique-en-1-minute-25-05-2016-2042038_23.php

 

Mai 68 a été l’un des mouvements sociaux français les plus importants, que cela concerne les étudiants ou les ouvriers. Dans différents pays du monde, tels que l’Allemagne, le Brésil, l’Italie, la Tchécoslovaquie et le Japon, plusieurs manifestations d’étudiants ont également lieu ce même printemps. Mais c’est bien la France qui va connaître une grande révolte étudiante, et la plus grande grève générale depuis 1936.

CAUSES

Elles se situent à la fois sur le plan social, économique et culturel selon que l’on considère les revendications des étudiants ou celles des ouvriers.

Etudiants

Les jeunes condamnent l’impérialisme nord-américain face à l’atrocité de la guerre du Vietnam.

Ils s’opposent à la dégradation de leurs conditions matérielles : la vétusté et le manque d’universités par exemple.

Ils dénoncent la rigidité du pouvoir en général (absence de mixité dans les écoles, système des diplômes injuste, absence de libertés individuelles…

Ils découvrent également la très grande misère près des universités, notamment à Nanterre où il existe encore des bidonvilles.

Ils rejettent la société de consommation dans son ensemble.

La situation de guerre froide entre les capitalistes et les communistes fait naître des idées anti-nucléaires chez les jeunes.

Certains militants critiquent le PCF pour son manque de prise de position envers l’URSS quant à l’existence des goulags.

Quelques groupes de jeunes comme les scouts de France décrient la rigidité du Vatican (refus de la contraception…).

Ouvriers

Après la période euphorique des “30 glorieuses” qu’a représenté la reconstruction de la France après la seconde guerre mondiale, la France connaît une détérioration de sa situation économique : montée du chômage, baisse des salaires (les plus bas de la CEE)…

Dès 1967 et début 1968, les ouvriers font la grève et occupent des usines.

La classe ouvrière revendique une hausse de leur salaire et une diminution de la durée du travail (52 h par semaine à cette période).

Les ouvriers veulent mettre fin à l’autoritarisme des patrons.

Les ordonnances décrétées en 1967 sur l’aménagement de la sécurité sociale doivent selon eux être abrogées.

CHRONOLOGIE DES ÉVÈNEMENTS

22 mars 1968 : l’université de Nanterre est occupée suite aux arrestations de jeunes lors de manifestations contre la guerre du Vietnam. Certains se distinguent dès ce jour, comme Daniel Cohn Bendit, Serge July et Bernard Henri-Lévy. Ils revendiquent une liberté d’expression politique. Dès mars, des affrontements avec les forces de l’ordre ont lieu.

2 mai : suite à ces incidents, le doyen de l’université de Nanterre suspend les cours et ferme la fac de lettres.

3 mai : les étudiants quittent Nanterre et occupent la Sorbonne. Ils sont alors évacués de force par la police. Les étudiants réagissent en manifestant violemment contre les forces de l’ordre (jets de pavé, barricades, slogans…). Le quartier latin est en état de siège. Le recteur ordonne la fermeture de la Sorbonne. Bilan de ces affrontements : de nombreux blessés et des arrestations.

4 mai : les pro-chinois présents au début des évènements, se désolidarisent du mouvement jugeant que la situation a déjà été trop loin.

6 mai : le mouvement gagne les universités de province.

10 mai : nuit des barricades dans le quartier latin et affrontements contre les CRS.

11 mai : quelques paysans sont solidaires aux étudiants.

Après avoir critiqué le mouvement des jeunes, le PCF tente de rallier les ouvriers aux étudiants.

14 mai : la première grève dans une usine a lieu à Sud-Aviation près de Nantes.

Le 1er ministre, Pompidou exige que la police quitte la Sorbonne pour calmer la situation. Il propose la dissolution de l’Assemblée Nationale afin d’organiser les élections législatives. De Gaulle n’intervient pas.

16 mai : une cinquantaine d’usines dont Renault, sont occupés par les ouvriers.

25 mai : on dénombre neuf millions de grévistes (déjà 6 millions en 1936). Une grève générale paralyse la France puisqu’elle touche tous les secteurs (pénurie d’essence, téléphone, agriculture, lieux culturels…).

27 mai : les accords de Grenelle (négociations organisées par Pompidou) sont signés mais la grève continue.

29 mai : De Gaulle part en Allemagne pour y rencontrer le Général Massu.

30 mai : il dissout l’Assemblée Nationale.

Une marche a lieu pour soutenir le président et protester contre ce mouvement social.

mi-juin : la Sorbonne est évacuée. Le travail reprend presque partout en France.

30 juin : victoire des gaullistes aux élections législatives.

CONSÉQUENCES DE MAI 68

Amélioration des conditions de travail

Les accords de Grenelle ont amélioré les conditions de travail des ouvriers :

  • augmentation du SMIC de 35 % (600 F par mois), hausse de 10 % des salaires, création d’une section syndicale d’entreprise, 4ème semaine de congés payés.

Influences sur le plan socio-culturel

  • valorisation de l’individu, de sa créativité, refus de l’autorité, libération sexuelle avec l’arrivée des contraceptifs, du mouvement féministe MLF, qui permettra en 1975, la loi sur l’avortement, dénonciation des régimes communistes, à l’école, l’enfant peut désormais s’exprimer et participer aux décisions.

Influences sur le plan économique et social

  • création du système d’auto gestion d’entreprise, remise en cause de l’armée et du nucléaire, avec l’apparition de mouvements écologiques, sur le plan religieux, bouleversement dû au refus du Vatican de la contraception, au mouvement de prêtres ouvriers. On constate une diminution du nombre de pratiquants.

Les Français adoptent progressivement une position critique à l’égard de la politique et se méfient du militantisme politique. Lors du référendum sur la régionalisation par lequel le général De Gaulle veut décentraliser les lieux de décisions et modifier le rôle du Sénat, il promet de quitter la présidence si les français optent pour le “non”. Dès le résultat du référendum, De Gaulle part.

QUELQUES SLOGANS DE MAI 68

  • les murs ont la parole
  • CRS = SS
  • cours camarade, le vieux monde est derrière toi
  • la base doit emmener la tête
  • on ne revendiquera rien, on ne demandera rien, on prendra, on occupera
  • soyez réaliste, demandez l’impossible…

CONCLUSION

Mai 68 marque une ouverture brutale de la culture française au dialogue social et médiatique. C’est une étape importante dans la prise de conscience de la mondialisation de cette société moderne, et une remise en cause de la société de consommation.

La Révolution Française (1789)………La Monarchie de Juillet (1830)

Plan du thème

  1. La fin de l’Ancien Régime
    Dégradation des finances royales.
    Guerres jusqu´à la Révolution
    Une société inégalitaire

    1. La Révolution Française (1789-1804)
      Les cahiers ds doléances
      Les États Généraux
      Le Serment du Jeu de Paume
      Assemblée Constituant
      Déclration des droits de l’Homme et du Citoyen 26 août 1789.
      Le Gouvernement révolutionnaire (Girondins et Montagnards)
      Le Directoire
      Le consulat (1799-1804)
      Les acquis de la Révolution
      Conclusion

  2. L’Empire (1804-1815)
    Napoléon Bonaparte

  3. La Restauration (1815-1830)
    Louis XVIII
    Charles X

  4. La Monarchie de Juillet (1830-1848)
    Louis – Philippe d’Orléans

La France pendant la Seconde guerre mondiale (1940-1944

France défaite et occupée : Vichy, collaboration, résistance

 

La défaite de 1940 et le regime Vichy

 

Le régime de Vichy (1940-1944)

La France en 1942 : //// État français //// État français, zone d’occupation militaire allemande //// Protectorats français [Wikipedia]

  1. La défaite et l’effondrement de la République (septembre 1939-juillet 1940).
  2. L’État français (mai 1940- août 1944).

La France libre et la Résistance (1940-1944).

  1. Les débuts de la France libre (18 juin 1940- sept. 1943).
  2. La Résistance.

La France et les Français pendant la guerre (1940-1944)

1923-1939

Les tensions politiques de l’entre-deux guerres : de la dictature de Primo de Rivera à la Seconde République (1923-1936).

Grave crise généralisée de 1917-1923. Deux périodes : une militaire 23-25, politique 25-30. Bataille d’Alhucemas 1925, répression du mouvement ouvrier et des nationalismes catalans et basque. Politique économique interventionniste. Inspiration du fascisme italien. Grands travaux.

 

 

La seconde République:  1931-39 Elections municipales avril 1931 : plébiscite Républicain. Exil du roi et proclamation de la République le 14 avril. 1931-33 : Biennio réformateur.

1933-1936 : Biennio conservateur.

Février 36 : Frente Popular. Mai-juillet : conflits sociaux. Chaos. 12 juillet : mort du Capitaine des gardes d’assaut. Mort de Calvo Sotelo, leader du parti catholique. Début de la Guerre [Pascal Riou]

TEXT:

Jean Jaurès (17 juin 1913)

Porte-parole des pacifistes, Jean Jaurès fait face depuis quelques mois à une déferlante nationaliste, à l’approche du conflit mondial. Raymond Poincaré élu le 17 janvier 1913 Président de la République, est le principal artisan du projet de loi visant à étendre le service militaire de deux à trois ans, en réponse à l’augmentation des effectifs militaires en Allemagne. Jaurès qualifie ce projet de « crime contre la République ».
Ce discours est l’un des derniers grands discours parlementaires prononcés par Jaurès, il y dénonce la répression du Gouvernement à l’égard des manifestants qui refusent l’allongement du service militaire et défend le droit à l’insurrection populaire. 
La loi des trois ans est adoptée le 19 juillet, par 358 députés contre 204.

Que la commission et le gouvernement le veuillent ou non, le projet qu’ils soumettent à la Chambre, en accroissant la durée du service de caserne, rend plus difficiles à tous les points de vue, au point de vue financier, au point de vue militaire, au point de vue social, la grande organisation militaire que réclame le pays républicain, la préparation et l’éducation physique de la jeunesse, l’éducation, l’entraînement, l’encadrement des réserves et, par cela seul que ce projet ferme à l’institution militaire en mouvement les routes de l’avenir, il la refoule nécessairement, vers les formes du passé, vers le type suranné de l’armée de métier.

[…]

Notre projet, Messieurs, est d’accroître la puissance défensive de la France. Plus nous voulons qu’elle porte haut son idéal, son action sociale et humaine, plus nous voulons qu’elle puisse mettre toute sa force au service de cet idéal en pleine sécurité et en pleine indépendance. J’ai déjà, à la commission de l’armée, […] cité le mot de Machiavel : « L’histoire se rit des prophètes désarmés. » Nous qui voulons précisément que la France ait dans le monde une grande mission historique et morale, nous qui, maintenant l’affirmation du droit, voulons répudier à jamais toute politique d’aventure et de revanche, nous qui voulons préparer par la paix définitive et garantir une civilisation supérieure où la force partout présente de la démocratie et de la liberté, réparera les antiques violences, nous voulons que nul ne puisse imputer cette offre magnanime de paix à la débilité peureuse d’un peuple mal assuré de lui-même.

Et non seulement nous voulons porter au maximum la force défensive, la force d’indépendance de ce pays, mais nous voulons l’organiser pour la défense en prévoyant les pires hypothèses, c’est-à-dire en prévoyant le cas où la France aurait à se défendre toute seule, sans secours extérieur et sans alliance, contre ses ennemis éventuels. Ce n’est pas que nous fassions fi des concours que la France, par l’habileté et la sagesse de sa diplomatie, pourrait s’acquérir dans le monde, mais nous pensons qu’un peuple, quand il calcule les chances de l’avenir et l’effort nécessaire d’indépendance et de salut, ne doit compter que sur sa force.

À l’heure où s’est vérifiée, où s’est réalisée, l’hypothèse prévisible et prévue de l’accroissement des armements de l’Allemagne, le devoir des dirigeants français était non pas de se rejeter vers la routine, vers la formule trop facile de la loi de 3 ans, mais de développer énergiquement, par l’éducation de la jeunesse, par l’organisation des réserves, par l’armement du peuple sur place, par le perfectionnement de tous les moyens techniques de mobilisation et de concentration, les garanties d’avenir qui conviennent à un grand peuple de démocratie, et le plus déplorable, Messieurs, dans la solution hâtive d’expédients subalternes qui a été adoptée, c’est qu’elle désapprend au pays de France la vertu qu’elle a le plus besoin d’apprendre : l’esprit de suite et de continuité.

Voilà des années qu’à ce peuple nerveux, aux impressions fortes, aux émotions soudaines, on dit : Si le péril allemand grandit, si le militarisme allemand trouve dans la croissance de sa population et dans l’utilisation plus intensive de ses contingents des ressources nouvelles, ne t’émeus pas, ne te trouble pas. Tu as dans tes ressources de démocratie, dans la possibilité de mettre en oeuvre et en action toutes les forces populaires, des garanties incomparables.

Et voici qu’au jour où, en effet, se réalise l’hypothèse prévue, annoncée, au lieu de dire au peuple : Creuse et ouvre plus vite le sillon que tu avais commencé à ouvrir, on lui dit : Tout est perdu si tu n’abandonnes pas l’effort commencé, et si tu ne te rejettes pas brusquement vers des solutions que, depuis huit ans, tu avais dépassées et jetées aux choses mortes.

Eh bien, Messieurs, un gouvernement manque à la France, lorsque, à ce pays qui a toutes les forces, tous les élans, toutes les énergies, auquel ni la persévérance, ni la méthode ne font défaut, ses gouvernants, selon les caprices de l’heure, changent brusquement de direction. C’est là qu’est la diminution morale et la diminution militaire de ce pays.

[…]

Nous avons, Messieurs, nous, la conviction profonde que nous travaillons à la fois pour la force de l’armée nationale, pour la puissance défensive de la Patrie et pour la paix du monde à laquelle la République doit donner son concours.

Georges Clemenceau (8 mars 1918)

Georges Clemenceau, ministre de la Guerre et Président du Conseil, s’est présenté devant les députés le 20 novembre 1917 avec « l’unique pensée d’une guerre intégrale ». Sa détermination le conduit à s’impliquer directement dans la conduite des opérations militaires. Ce discours est prononcé cinq jours après le traité de Brest-Litovsk qui acte la défection de la Russie bolchévique ; sous l’impulsion de Clemenceau, le commandement unique des forces alliées revient au général Foch. Il dresse le portrait d’une France apaisée et tournée vers la victoire, alors que la guerre épuise la population et les soldats au front et que le jour même, des obus allemands ont touché le ministère de la Guerre. A l’issue de ce discours, il obtient la confiance par 374 voix contre 41.

M. Georges Clemenceau, président du Conseil, ministre de la Guerre : J’aurai voulu m’associer pleinement aux paroles de monsieur Renaudel et je l’aurais fait s’il n’avait cru devoir me mettre personnellement en cause pour m’accuser de crimes politiques déterminés : c’est ce sur quoi je tiens à m’expliquer.

D’abord, je n’ai pas à répondre de faits qui ne sont pas de mon administration : et je m’étonne que monsieur Renaudel, qui est déjà un vieux parlementaire, puisse sérieusement me demander de monter à la tribune pour justifier des actes dont je n’ai pas eu connaissance et dont je ne suis pas responsable.

Je n’ai pas à l’admettre. Je suis à la tribune pour discuter un point seulement, à savoir qu’on m’accuse de laisser faire des campagnes et qu’on m’en rend responsable. J’en suis bien fâché, vous êtes de grands libertaires, mais, pendant trois ans, vous avez vraiment pris un peu trop facilement l’habitude d’être protégés par la censure, tandis que vos adversaires ne l’étaient pas.

(Applaudissements sur divers bancs. Interruptions sur les bancs du Parti socialiste.)

J’ai connu un temps où ce même monsieur Léon Daudet, dont vous parlez aujourd’hui, me mettait en vedette d’ignominie et de honte, chaque jour, en tête de chaque numéro de son journal.

Non seulement la censure laissait faire, mais c’est moi qui étais blanchi par cette même censure. J’ai connu un temps où il ne m’était pas permis de rappeler sans être immédiatement écharpé, qu’avant la guerre et quelques jours même avant la guerre, vous votiez contre les crédits militaires. (« Très bien ! Très bien ! » à gauche et au centre.)

Je suis bien obligé de rappeler cela puisque vous me forcez à m’expliquer. Je ne suis monté à la tribune, ni pour engager des querelles, ni pour polémiquer ; mais enfin, puisque je suis perpétuellement attaqué à propos de faits que je n’ai pas connus et que je n’ai pas commis, il me sera bien permis de m’expliquer sur la doctrine du gouvernement. C’est pour exposer cette doctrine que j’ai demandé la parole, afin qu’il soit bien entendu, dans le vote que vous émettrez tout à l’heure – et qui sera un vote sur la confiance -, que les républicains continuent d’avoir confiance dans les libertés.

On fait des campagnes contre tel ou tel d’entre vous et vous vous en étonnez. Messieurs, voilà cinquante ans qu’on en fait contre moi. (Mouvements divers.)

Quand m’a-t-on entendu m’en plaindre en quelque manière que ce soit ? Il m’est arrivé de répondre, il m’est arrivé de dédaigner et de ne pas lire. Soyez sûrs que c’est encore le meilleur remède.

Aujourd’hui, vous me demandez sérieusement d’arrêter des campagnes contre telle ou telle personnalité.

Sur divers bancs du parti socialiste : Mais non !

[…]

M. le président du conseil : Je suis monté à la tribune pour vous poser une question de gouvernement Elle sera posée, malgré vous, contre vous ou avec vous, suivant ce que vous déciderez, mais elle sera posée et elle sera suivie d’un vote de chambre. (« Très bien ! Très bien ! »)

Je dis que les républicains ne doivent pas avoir peur de la liberté de la presse. (Applaudissements. Interruptions sur les bancs du Parti socialiste.)

N’avoir pas peur de la liberté de la presse, c’est savoir qu’elle comporte des excès. C’est pour cela qu’il y a des lois contre la diffamation dans tous les pays de liberté, des lois qui protègent les citoyens contre les excès de cette liberté.

Je ne vous empêche pas d’en user. Il y a mieux : il y a des lois de liberté (Interruptions sur les bancs du Parti socialiste) dont vous pouvez user comme vos adversaires ; rien ne s’y oppose ; les voies de la liberté vous sont ouvertes ; vous pouvez écrire, d’autres ont la liberté de cette tribune ; ils peuvent y monter comme vient de le faire l’honorable monsieur Painlevé. De quoi vous plaignez-vous ? Il faut savoir supporter les campagnes ; il faut savoir défendre la République autrement que par des gesticulations, par des vociférations et par des cris inarticulés. (Applaudissements au centre et à droite. Exclamations et bruits sur les bancs du Parti socialiste.)

Parlez, discutez, prouvez aux adversaires qu’ils ont tort et ainsi maintenez et gardez avec vous la majorité du pays qui vous est acquise depuis le 4 septembre.

Voilà la première doctrine que j’ai à établir,

[…]

La seconde, dans les circonstances actuelles, c’est que nous sommes en guerre, c’est qu’il faut faire la guerre, ne penser qu’à la guerre, c’est qu’il faut avoir notre pensée tournée vers la guerre et tout sacrifier aux règles qui nous mettraient d’accord dans l’avenir si nous pouvons réussir à assurer le triomphe de la France.

Je comprends très bien, comme on l’a dit que, malgré cette situation, on vienne ici traiter des affaires de trahison, parce que c’est une partie de la guerre. Un jour, monsieur Renaudel disait que le cri : « Nous sommes trahis ! » était un cri de lâcheté. Peut-être !

La révolution remporterait la victoire au cri de : « Nous sommes trahis ! ». Dans ce temps-là, il y avait sur la place de la Concorde … (Bruits et interruptions sur les bancs du Parti socialiste.)

[…]

… Dans ce temps-là, il y avait sur la place de la Concorde un instrument de concorde. (« Très bien ! Très bien ! ».)

Aujourd’hui, notre devoir est de faire la guerre en maintenant les droits du citoyen, en sauvegardant non pas la liberté, mais toutes les libertés. Eh bien ! Faisons la guerre.

Interrogez-nous sur les procès de trahison. Dites que nous avons mal agi, dites que les administrations qui m’ont précédé ont mal administré la justice. C’est votre affaire. Vous trouverez toujours quelqu’un pour vous répondre.

Je suis aujourd’hui en face d’événements qui se préparent et que vous connaissez tous, auxquels je dois faire front, sur lesquels il faut absolument que ma pensée soit courbée, je pourrais dire chaque heure du jour et de la nuit. Aidez-moi vous-mêmes, mes adversaires ! (Interruptions sur les bancs du Parti socialiste.)

Sur les bancs du parti socialiste : Nous n’avons pas le même but ! Vive l’homme enchaîné !

M. le président du Conseil : Alors, vous l’avez dit: « Nous n’avons pas le même but. » Je n’aurais pas voulu le croire.

Il m’est arrivé un grand malheur à la naissance de mon ministère. J’ai été frappé d’exclusive par monsieur Renaudel et ses amis, avant qu’ils sachent ce que je pourrais dire ou faire. Ils ont décidé, en vertu d’une noble science dogmatique, que j’étais un danger pour la classe ouvrière et pour la défense nationale.

[…]

Pour ce qui est de la défense nationale, j’estime que pour prononcer qu’un gouvernement est un danger pour la défense nationale, il serait nécessaire d’apporter des faits au lieu d’une opinion dogmatique qui n’est pas justifiée par les événements.

M. Antoine Drivet : Vous l’avez dit de vos prédécesseurs !

M. le président du Conseil : Qu’ai-je dit ?

M. Antoine Drivet : La même chose de vos prédécesseurs.

M. le président : Veuillez, je vous prie, ne pas troubler inutilement la discussion par des interruptions. Vous répondrez.

M. le président du Conseil : Je ne suis pas un danger pour la défense nationale parce que je ne puis avoir aucune ambition en ce monde ; rien d’autre ne m’est permis que le désir ardent d’aider, dans la mesure de mes forces, mon pays à sortir de la situation où il se trouve. (Applaudissements.)

[…]

Croyez-vous que ce soit pour le plaisir de subir vos malédictions, vos injures et vos outrages, écrits ou parlés, que je suis à cette tribune en ce moment ?

Si vous le croyez, je vous plains, je ne suis pas cet homme.

Et je vais vous dire toute ma pensée ; après vous me combattrez comme vous voudrez. À mesure que la guerre avance, vous voyez se développer la crise morale qui est la terminaison de toutes les guerres. L’épreuve matérielle des forces armées, les brutalités, les violences, les rapines, les meurtres, les massacres en tas, c’est la crise morale à laquelle aboutit l’une ou l’autre partie. Celui qui peut moralement tenir le plus longtemps est le vainqueur. Et le grand peuple d’Orient qui a subi historiquement, pendant des siècles, l’épreuve de la guerre, a formulé cette pensée en un mot :

« Le vainqueur c’est celui qui peut, un quart d’heurt de plus que l’adversaire, croire qu’il n’est pas vaincu. »

Voilà ma maxime de gouvernement. Je n’en ai pas d’autre. (« Très bien ! Très bien ! ».)

Au fond de toutes les lois de la nature humaine, il y a une formule très simple à laquelle il faut toujours finir par se rallier. Je suis entré au gouvernement avec cette idée qu’il faut maintenir le moral du pays.

Un membre sur les bancs du parti socialiste : Vous avez réussi !

M. le président du Conseil : Le moral est excellent. Vous n’êtes pas détenteurs d’une recette de morale qui vous soit particulière – c’est le grand malheur des églises -, car vous n’êtes qu’une église…

(« Très bien ! Très bien ! »)

M. Charles Bernard : Une petite église!

M. le président du Conseil : Messieurs toute ma politique tend à ce but : maintenir le moral du peuple français à travers une crise qui est la pire de toute son histoire.

[…]

Parmi nos actes, quels qu’ils soient, je vous défie d’en trouver un qui ne soit inspiré de cette unique pensée : sauvegarder l’intégrité de l’héroïque moral du peuple français. Cela nous le voulons, cela nous le faisons, cela nous continuerons à le faire.

Ce moral a été admirable, quoi que vous en disiez.

M. Joseph Brenier : Nous en sommes convaincus.

M. le président du Conseil : II n’en est pas moins vrai qu’il y a eu des heures où l’on n’aurait pas pu monter à cette tribune pour tenir le langage que je tiens. Je n’incrimine personne, ce n’était pas la faute des hommes, mais d’une situation générale sur laquelle je n’ai rien à dire. Mais, aujourd’hui, c’est une chose énorme pour le pays de pouvoir penser et lever la tête, regarder les amis et les ennemis les yeux dans les yeux, et de se dire :
«Je suis le fils d’une vieille histoire qui sera continuée, mon peuple a écrit, mon peuple a pensé, ce qu’il a fait. Nos neveux l’écriront, nos neveux le penseront. Nos neveux le feront. »

(Applaudissements.)

Voilà pourquoi je suis au gouverne­ment et pas pour autre chose. Le moral de nos soldats fait l’admiration de leurs officiers, comme de tous ceux qui vont les voir. Pas d’excitation, une sérénité d’âme au-dessus de l’étonnement, des propos tranquilles et gais, un bon sourire de confiance, et quand on parle de l’ennemi, un geste auquel s’ajoute quelquefois une parole qui fait comprendre que tous ces efforts viendront s’épuiser devant le front français. (Applaudissements.)

Et les parents de ces hommes, les pères, les mères, nous les connaissons : stoïques eux aussi. Pas de plaintes, pas de récriminations. Que la paix publique ait pu être maintenue comme elle l’a été pendant quatre ans, c’est à l’éloge, je le dis, des gouvernements précédents. (« Très bien ! Très bien ! ») Et aussi du peuple français lui-même. (Applaudissements.)

Cela, il faut le continuer, mais il y a peut-être des milieux où cela est devenu plus difficile qu’autrefois.

Il y a l’excuse de la fatigue, des mauvaises paroles, il y a l’excuse des propos semés par des agents de l’ennemi ; il y a l’excuse de la propagande allemande. Mais malgré tout cela, le moral des Français est immuable. Les civils ne sont pas au-dessous des poilus. (Applaudissements.)

Eh bien, messieurs ! Voilà quatre mois que nous sommes au pouvoir. Je ne veux pas m’attribuer le mérite de ce résultat ; je n’en ai pas un instant la pensée, mais nous avons peut-être concouru à le maintenir, à l’aider, en tout cas. Moi et mes collègues, j’en suis bien sûr, nous nous y sommes tout uniquement consacrés. Je ne viens pas vous demander l’ordre du jour de confiance ; je ne le ferai que parce que vous m’y obligez. Aujourd’hui, je serais resté à mon banc si vous ne m’aviez pas provoqué ; je ne serais pas monté à cette tribune ; j’y monte.

Mais, au moins, ne vous prononcez pas contre moi parce qu’il y a je ne sais quelle histoire de dossier égaré dans tel ou tel tiroir, dans tel ou tel bureau. Ayez le courage de votre opinion, dites pourquoi vous votez contre moi. Vous votez contre moi parce que vous voulez la guerre sans doute, mais pas par les procédés qui sont les miens. J’aurai le courage d’aborder ce point avant de finir. On dit : « Nous ne voulons pas la guerre, mais il faut la paix le plus tôt possible. »

Ah ! Moi aussi, j’ai le désir de la paix le plus tôt possible et tout le monde la désire. Il serait un grand criminel celui qui aurait une autre pensée, mais il faut savoir ce qu’on veut. Ce n’est pas en bêlant la paix qu’on fait taire le militarisme prussien. (Vifs applaudissements à gauche, au centre et à droite.)

Tout à l’heure, monsieur Constant me lançait une petite pointe sur mon silence en matière de politique étrangère. Ma politique étrangère et ma politique intérieure, c’est tout un. Politique intérieure, je fais la guerre ; politique étrangère, je fais la guerre. Je fais toujours la guerre. (Applaudissements sur les mêmes bancs. Mouvements divers.)

 

Léon Gambetta (21 juin 1880)

Léon Gambetta s’exprime en faveur de l’amnistie totale des communards. Il répond au député bonapartiste Paul de Cassagnac hostile à l’amnistie et dénonçant l’élection à Belleville, le 19 juin 1880, du « galérien Trinquet ». Bien qu’ayant soutenu, hostile à la Commune, le candidat battu, lors de cette élection partielle, par Alexis Trinquet, lequel était pourtant inéligible pour avoir appartenu au Conseil général de la Commune de Paris, Gambetta prononce un plaidoyer pour la réconciliation et apparaît comme le chef de file de la coalition républicaine.[ASSEMBLÉE NATIONALE]

Messieurs, j’ai cédé à l’impérieux sentiment du devoir en demandant à la Chambre de vouloir bien m’entendre dans la question qui s’agite aujourd’hui devant elle ; non pas, comme l’a dit le préopinant [*], parce que la grande mesure dont le gouvernement prend aujourd’hui l’initiative, que les ministres sont venus défendre et que la majorité va ratifier, soit l’oeuvre d’une personnalité quelconque. Non, messieurs, et dans cette question, il n’y a rien à cacher ; le gouvernement pour répondre au sentiment du pays, doit être tenu au courant de ses affaires : il a tout naturellement pensé que, avant de mettre la dernière main à cette grande loi d’abolition et d’absolution, il était peut-être nécessaire de connaître l’opinion, non pas d’un homme, mais de tous les hommes de la majorité de la Chambre. (« Très bien ! Très bien ! » à gauche et au centre.)

C’est à ce titre, et non à un autre que j’ai été consulté. Et je donnerais à ce débat une tournure blessante pour ma dignité personnelle si je répondais à des attaques, à des insinuations, qui, pour s’être produites à cette tribune, n’en sont pas plus fondées. Non, je ne suis pas au-dessus du gouvernement ; pas plus que je ne suis à côté de l’honorable monsieur Granier de Cassagnac. (« Très bien ! Très bien ! » à gauche.)

Je suis à mon rang et à ma place, je suis au poste où votre confiance m’a élevé. (Applaudissements à gauche et au centre.)

Eh bien ! Messieurs, je le sais, je l’ai vu, je l’entends tous les jours ; ne pensez pas, ne pensez jamais qu’il y ait un autre moyen de supprimer ces récriminations éhontées sur la guerre civile autrement que par une mesure d’abolition complète, absolue ; ne le pensez pas !

Pourquoi ? Parce que vous ne referez pas l’histoire ; parce que vous ne pourrez pas aller de quartier en quartier dans tout ce Paris qui a cette vie tragique et épouvantable qui va du 4 septembre au 26 mai ; parce que vous ne pourrez pas refaire la vérité dans ces cerveaux obscurcis et dans ces âmes troublées ; et entendez-le bien ! Tant que restera une question d’amnistie, vraie ou fausse, posée sur une tête indigne ou sur une tête obscure, vous pouvez être convaincus que, toujours et nécessairement, vous verrez une grande masse s’égarer qu’il eût fallu recueillir, vous verrez des esprits s’enflammer et s’exaspérer qu’il eût été fort simple de maintenir dans la ligne droite.

Et alors vous voulez que je me taise, que je ne dise pas à mes amis, qui sont au pouvoir, sans empiéter sur leur indépendance qui est entière, car si elle n’était pas entière, c’est ma conscience qui ne le serait pas !… (Bravos. Applaudissements prolongés à gauche et au centre), vous voulez que je ne leur dise pas : « Oui, il y a un intérêt supérieur qui s’impose ; oui, il y a une raison d’État qui ouvre et dessille les yeux les plus obstinément fermés ! » C’est que, dans un pays de démocratie, dans un pays de suffrage universel, de disputes ardentes dans les comices électoraux, il y a un moment où, coûte que coûte, il faut jeter le voile sur les crimes, les défaillances, les lâchetés et les excès commis. (Vifs applaudissements.)

Rappelez-vous, messieurs, que si vous ajournez l’amnistie jusqu’à la veille des élections de 1881, on exploitera le pardon accordé aux gens de la Commune comme un complot, comme une sédition ; on épouvantera la France, en lui présentant les dangers du retour d’hommes chargés de crimes, couverts de sang, altérés de vengeance ; tandis que, si vous faites l’amnistie aujourd’hui, il en sera comme des prédictions sinistres qu’on faisait sur le retour des Chambres à Paris.

Dans quinze mois, quand nous reviendrons devant nos électeurs, devant le suffrage universel, nous pourrons le prendre à témoin que, depuis le jour où vous avez voté l’amnistie, l’oubli, le pardon, le silence se sont faits sur la guerre civile. Voilà pourquoi je trouve l’amnistie opportune ; voilà pourquoi je l’ai conseillée, (Très bien ! Très bien ! )
…car c’est l’honneur du gouvernement républicain à côté duquel je suis, d’avoir pu, en matant les factions, fonder la République, ramener les Chambres dans Paris, décréter successivement la rentrée sur le sol national des hommes compromis dans nos discordes ; c’est l’honneur, la force de ce gouvernement, et il a bien le droit, au nom de la République, au nom de la France, de vous dire : « J’ai la garantie et le dépôt de l’ordre et des libertés nationales dans les mains, ayez confiance en moi, marchez avec moi. »

Oui, ce gouvernement a le droit de tenir un tel langage, et, permettez-moi de vous le dire, vous avez le devoir de réfléchir, vous avez le devoir, que vous avez accompli en bien d’autres moments, de descendre au fond de vos consciences, de vous mettre en présence des conséquences, des avantages de la politique de concorde qui est aujourd’hui devant vous et de vous poser ce dilemme : oui ou non, devons-nous consentir à faire l’amnistie ? Votre réponse est oui ! n’est-ce pas ? Personne ne se lève dans cette assemblée qui ose dire : « Non !

Jamais nous ne ferons l’amnistie ; il faut persister dans une politique implacable, qui ne connaît que des fautes inexpiables. »

II faut donc faire l’amnistie et par conséquent, la seule question politique qui se pose et qui s’impose à l’attention du Parlement est celle-ci : existe-t-il un moment, plus favorable pour la faire ? (Applaudissements prolongés à gauche et au centre) Je dis qu’il n’en existe pas ! Pourquoi ?

Parce que si le pays – et je pense avoir étudié avec soin la marche des esprits – est résolu à ne pas se payer d’apparences, à ne jamais céder aux impatiences, aux ardeurs, même légitimes, des uns, il est résolu aussi à ne pas laisser passer les heures propices aux grandes mesures. J’ai écouté le pays, je l’ai suivi, je l’ai lu dans ses diverses manifestations écrites ; je l’ai étudié dans ses diverses manifestations électorales.

Et où est donc l’opinion publique, si elle n’est pas dans ces rendez-vous, si elle n’est pas dans ces consultations, solennelles à tous les degrés, où les électeurs donnent l’opinion de la France ?

Après avoir écouté, interrogé le pays, je suis arrivé à cette solution : non, la France n’est pas passionnée pour l’amnistie, elle n’y apporte ni ardeur ni enthousiasme, elle sait ce que lui a coûté cette série de crimes ; elle sait quelle a été la rançon de cette folie inoubliable ! Non, elle n’est pas passionnée pour l’amnistie, et, si elle n’avait qu’à prononcer un arrêt, il serait bien vite écrit en caractères ineffaçables.

Mais, messieurs, si la France ne subit pas d’entraînement vers l’amnistie, elle éprouve un sentiment que les hommes politiques doivent enregistrer : c’est celui de la lassitude. (« Très bien ! » Applaudissements à gauche.) Elle est fatiguée, exaspérée d’entendre constamment se reproduire ces débats sur l’amnistie, dans toutes les questions, à propos de toutes les élections, de toutes les contentions électorales, et elle dit à ses gouvernants et à vous-mêmes : « Quand me débarrasserez-vous de ce haillon de guerre civile ? » (Bravos à gauche.)

[…]

Je le sais, messieurs, il y a deux politiques, il y en a eu deux de tout temps, et il y en aura toujours deux, parce que le mouvement de l’esprit humain est ainsi fait qu’il porte les uns à l’innovation, à la marche en avant, à l’affirmation toujours plus hardie et toujours plus audacieuse vers le progrès, vers la conquête et vers la réforme ; et qu’il retient les autres qui, par tempérament, par qualité d’esprit, – car c’est souvent une qualité, il y a plus de lest dans les esprits qui résistent – sont au contraire pour le stationnement, pour le calcul longtemps balancé avant la résolution. J’aime ces deux esprits et je les respecte.

Mais que voulez-vous ? Vous allez peut-être m’accuser d’opportunisme ! Je sais que le mot est odieux… (Sourires.) Pourtant, je pousse encore l’audace jusqu’à affirmer que ce barbarisme cache une vraie politique… (Applaudissements), que c’est en s’inspirant de la générosité des uns et de l’esprit d’examen des autres qu’il faut se décider. Et alors, étant face à face avec les difficultés, je dis à ceux-ci : « Vous touchez à la réalisation d’une mesure qui, peut-être, aurait été facilitée si elle eût été entourée, dans les réclamations qui se sont produites, de plus de mesure, de plus de sagesse. Et aux autres, je dis : « Le moment est venu de se résoudre ; ne voyez-vous pas entre nous et ceux qui ne sont que des anarchistes de profession, qui ne sont que de purs démagogues, que des fauteurs de désordre ; ne voyez-vous pas entre eux et nous une année compacte de braves gens, d’électeurs honnêtes et sincères qui, troublés et égarés, considèrent l’amnistie comme le retour aux plus détestables doctrines ? Ne sentez-vous pas qu’il est nécessaire d’aller à eux, de les rassurer et de leur dire : ” La République, c’est un gouvernement de démocratie, c’est le gouvernement qui est le plus fort de tous les gouvernements connus contre la démagogie. Pourquoi ? Parce qu’il ne gouverne et ne réprime ni au nom d’une famille ni au nom d’une maison, mais au nom de la loi et de la France ” » (Bravos et applaudissements répétés à gauche et au centre.)

[…]

On a dit, et on a dit avec raison – cela saute aux yeux -, que le 14 juillet étant une fête nationale, un rendez-vous où, pour la première fois, l’armée, organe légitime de la nation, se trouvera face à face avec le pouvoir, où elle reprendra ces drapeaux, hélas, si odieusement abandonnés… (Bravos et applaudissements prolongés.) Oh ! Oui, il faut que ce jour-là, devant la patrie… (Nouveaux applaudissements), il faut qu’en face du pouvoir, en face de la nation représentée par ses mandataires fidèles, en face de cette armée, « suprême espoir et suprême pensée » comme disait un grand poète, qui, lui aussi, dans une autre enceinte, devançant tout le monde, avait plaidé la cause des vaincus… (Applaudissements), il faut que vous fermiez le livre de ces dix années ; que vous mettiez la pierre tumulaire de l’oubli sur les crimes et sur les vestiges de la Commune, et que vous disiez à tous, à ceux-ci dont on déplore l’absence, et à ceux-là dont on regrette quelquefois les contradictions et les désaccords, qu’il n’y a qu’une France et qu’une République. (Acclamations et applaudissements prolongés. Un grand nombre de membres se lèvent de leur place et s’empressent autour de l’orateur pour le féliciter lorsqu’il descend de la tribune.)

Jules Ferry : L’école laïque (6 juin 1889)

Jules Ferry a quitté le pouvoir en mars 1885 à cause de sa politique coloniale et a échoué aux élections présidentielles de décembre 1887. 
Ce discours du 6 juin 1889 résonne alors comme une sorte de testament politique dans lequel il fait un bilan passionné de sa politique scolaire, profondément républicaine et inspirée de l’œuvre de la Révolution française. Il rappelle alors que les notions de progrès, de patriotisme et de laïcité ont guidé ses actions en faveur d’une refonte totale du système scolaire. [ASSEMBLÉE NATIONALE]

M. Jules Ferry : Je ne crois faire, en aucune façon, preuve d’héroïsme en venant défendre ici l’oeuvre scolaire de la République contre une polémique qui pourrait être dangereuse si elle n’était pas réfutée. Cette oeuvre, messieurs, elle est aujourd’hui, elle sera assurément aux yeux de l’histoire, avec le rétablissement de nos forces militaires et de notre outillage de guerre, le titre principal de la IIIe République à la reconnaissance de l’histoire et du pays. (« Très bien ! Très bien ! » au centre.)

Un membre à droite : N’oubliez pas le Tonkin !

[…]

M. Jules Ferry : Quand je prenais la parole devant une autre Chambre, devant l’Assemblée nationale, en 1871, en 1873, en 1875, certains membres du côté droit ne manquaient, aussitôt que j’ouvrais la bouche, de crier: « Et le 4 septembre ! » Aujourd’hui, il paraît que le refrain est différent : « Et le Tonkin ! » Messieurs, pas plus ici qu’à l’Assemblée nationale, je n’ai répondu et ne répondrai à ce genre d’argumentation et d’interruptions personnelles. À l’Assemblée nationale, j’ai suivi mon chemin ; j’ai usé de mon droit ; ici, je ferai de même, et j’en userai jusqu’au bout. (« Très bien ! Très bien ! » à gauche et au centre.)

Je n’ai, croyez-le bien, aucune intention agressive. Je voudrais apporter des faits, des chiffres, des déclarations très précises. Je ne cherche à enflammer aucune passion, à raviver aucune des vieilles querelles, que je voudrais voir éteintes.

Messieurs, cette oeuvre scolaire de la IIIe République n’est pas une oeuvre personnelle ; elle n’appartient en propre à qui que ce soit dans le Parti républicain, car elle appartient au pays républicain tout entier. (« Très bien ! Très bien ! » à gauche et au centre.)

[…]

Oui, messieurs, la IIIe République a réalisé ce système d’éducation nationale entrevu et conçu par nos pères. Il est un peu de mode, au temps où nous sommes, à cent ans de distance de ces grands hommes et de ces grandes choses, de reprocher à la Révolution française et aux hommes de 1789 l’avortement de beaucoup d’espérances. Oui, la Révolution n’a pas réussi dans tout ce qu’elle avait entrepris. L’histoire peut enregistrer à son passif des échecs éclatants, mais ici, nous avons le droit de le dire, le succès est complet. Ce système d’éducation nationale sans monopole… (Protestations à droite) sans monopole, car c’est l’Empire, le premier Empire qui a établi le monopole. (Exclamations à droite.)

[…]

Ce système d’éducation nationale qui relie, dans un cadre, à la fois puissant et souple, l’école élémentaire aux plus hautes parties du savoir humain ; ce système d’éducation nationale au frontispice duquel on n’a pas craint d’écrire que, de la part de la société, « l’enseignement est un devoir de justice envers les citoyens, » que la société doit à tous le nécessaire du savoir pratique, et l’avènement aux degrés successifs de la culture intellectuelle de tous ceux qui sont aptes à les franchir… (« Très bien ! » à gauche), cette mise en valeur du capital intellectuel de la nation, de toutes les capacités latentes de tous les génies qui peuvent être méconnus ou étouffés, dans une grande et féconde démocratie, messieurs, c’était le rêve de nos pères ; et nous avons le droit de déclarer qu’autant qu’il est possible de dire qu’une chose est accomplie, grâce à vous, grâce au pays, votre principal collaborateur dans cette grande oeuvre, grâce au pays qui en a été l’âme, ce rêve est devenu une réalité ! (Applaudissements au centre et sur divers bancs à gauche.)

Voilà pourquoi nous ne pouvons remettre qu’à un pouvoir civil, laïque, la surintendance de l’école populaire, et pourquoi nous tenons, comme à un article de notre foi démocratique, au principe de la neutralité confessionnelle, (« Très bien ! Très bien ! » à gauche. Interruptions à droite.)

Voilà pourquoi nous tenons fermement à l’école laïque. Voilà pourquoi vous n’obtiendrez de nous sur ce point ni acte de contrition ni retour en arrière. (« Très bien ! Très bien ! » à gauche. Exclamations à droite.)

Aussi bien est-ce l’enjeu de toutes les batailles prochaines, l’enjeu de la lutte des partis et si, comme vous l’espérez, bien à tort, vous reveniez ici en majorité aux élections prochaines, je sais bien »… (Bruit à droite.)

… Je sais bien la chose que vous ne pourriez pas faire, pas plus que n’ont pu le faire vos devanciers de 1871, c’est la monarchie : car, là encore, vous seriez trois partis ! (Nouvelles interruptions à droite. « Très bien ! Très bien ! » à gauche et au centre.)

M. le Baron de Mackau : il s’agit des économies et non de la monarchie !

M. Jules Ferry : Messieurs, je sais bien que vous ne feriez pas la monarchie, mais vous déferiez les lois scolaires. (« C’est cela ! Très bien ! » à gauche.)

[…]

Messieurs, nous restons profondément attachés à l’école laïque ; et pourtant, comme j’ai eu l’occasion de le déclarer en diverses circonstances, comme je n’hésite pas à le faire dans cette Assemblée, nous sommes très désireux de voir régner dans ce pays la paix religieuse. (Vives exclamations à droite. Applaudissements au centre.)

M. le Comte de Mun : Monsieur le président, je me suis contenu pendant trois heures, je n’ai pas interrompu, mais j’ai bien le droit de dire à l’orateur qu’il est le dernier qui puisse parler de la paix religieuse ici. (« Très bien ! Très bien » à droite.)

M. Jules Ferry : Messieurs, c’est précisément parce que j’ai été mêlé plus que d’autres aux luttes et aux discordes législatives auxquelles on a donné si improprement le nom de guerre religieuse que je tiens à venir ici protester de mon profond attachement à la paix religieuse de mon pays. (Vives interruptions à droite. Bruit.)

[…]

Quant aux écoles laïques, quant à la séparation de l’Église et de l’école, je nie absolument qu’elle ait revêtu, soit dans la loi, soit dans la pratique, le caractère de persécution religieuse que vous lui attribuez. (Interruptions à droite et à l’extrême gauche.)

M. Ernest Ferroul : Vous serez cardinal avant Jules Simon.

M. Jules Ferry : Vous avez trop d’esprit, messieurs les boulangistes. Voila sept ans que la loi de 1882 est votée, qu’elle est pratiquée.

Voix à droite : Détestée !

M. Jules Ferry : Voilà sept ans que le prêtre donne, en toute liberté, deux jours de la semaine, le dimanche et le jeudi, l’éducation religieuse aux enfants qui fréquentent l’école. (Interruptions à droite.) Voilà sept ans que tous les instituteurs de France, tenus de se conformer au programme rédigé et voté par le Conseil supérieur de l’instruction publique, enseignent aux enfants des écoles une morale dans laquelle il y a un chapitre spécial qui porte ce titre : « Des devoirs envers Dieu. » (« Très bien ! Très bien ! » à droite.)

M. Paul de Cassagnac : Très bien !

M. Jules Ferry : On dit, à droite, que c’est très bien… (Bruit à droite.)

M. le Président : Comment messieurs, vous ne pouvez entendre des déclarations comme celles-là, sans protester ?

M. Jules Ferry : On dit à droite que c’est très bien. Mais alors, que l’on cesse de dire que nos écoles primaires sont des écoles sans Dieu !

[…]

Et quand une grande société religieuse comme la société catholique jouit, dans un pays comme la France, de libertés aussi étendues que les vôtres quand votre Église, quand votre propagande religieuse est illimitée, quand elle possède plus de 40 000 chaires et plus de 40 000 pasteurs, vaquant librement à l’accomplissement de leur ministère ; quand elle est dotée d’un budget qui dépasse tous les budgets de la Restauration et la monarchie de Juillet, quand des hommes bien intentionnés comme celui qui est à la tribune. (Exclamations ironiques à droite et à l’extrême gauche) vous offrent de régler, sans porter atteinte aux droits de l’État, la question des associations religieuses ; si les catholiques, qui jouissent de telles libertés – je devrais dire de tels privilèges – prétendent qu’ils sont persécutés, qu’ils sont les victimes d’une guerre religieuse, ils donnent un démenti à l’éclatante vérité des faits ; ils ne sont pas persécutés, ils sont bien près de devenir persécuteurs. (Vifs applaudissements au centre et sur divers bancs à gauche.)